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mais l’influence de son mari est favorable au-delà de tout ce qu’on peut dire. On ne peut voir sans admiration à quel point elle s’apaise, quel empire elle prend sur elle-même. Grâce à lui, on apprécie mieux de jour en jour combien elle est foncièrement bonne et brave. Quand elle est de joyeuse humeur, elle est pleine d’attentions pour les personnes qui l’entourent. Il ne faudrait pas cependant attacher à ces bontés familières plus d’importance qu’il ne convient et paraître oublier les distances ; elle se souvient toujours qu’elle est de race royale. » Vers le même temps, il écrivait dans son journal quotidien : « On voit régner dans cette maison l’union, la paix, l’amour, en un mot tout ce que réclame la félicité domestique. Mon maître est le meilleur mari qu’il y ait dans les cinq parties du monde, et sa femme a pour lui une somme d’affection qui ne peut être comparée qu’au total de la dette anglaise. ». L’année suivante, le 26 août 1817, il ajoutait ces mots : « La vie conjugale de ce couple est un modèle d’amour et de fidélité ; on ne saurait en être témoin sans en ressentir la plus salutaire impression, pour peu qu’on ait conservé saine une partie de son cœur. »

L’opinion publique n’ignorait point ces détails. La loyauté monarchique des Anglais a besoin de s’attacher à des personnes dignes d’amour et de respect. Elle avait pendant près de soixante ans, au milieu des plus grandes crises et des plus grands désastres, vénéré le souverain dont la raison avait fini par succomber, mais dont l’honneur n’avait jamais failli. Le prince-régent inspirait des sentimens tout contraires. La pensée que ce personnage odieux, déjà investi d’une grande part des prérogatives royales, ne tarderait pas sans doute à occuper le trône d’Angleterre, remplissait les cœurs d’amertume. Ce fut donc une consolation pour tous de pouvoir espérer que la majesté de la couronne après George IV serait relevée par une reine digne de la nation anglaise. La joie fut bien plus vive encore et bien plus efficace quand on apprit que la princesse Charlotte allait donner un héritier ou une héritière à la famille royale. Il y eut aussitôt comme un apaisement de tous les partis. Rappelons-nous que l’immense effort de l’Angleterre contre Napoléon avait amené après la guerre une réaction désastreuse ; les embarras du commerce, l’interruption du travail, la misère des classes inférieures, le poids écrasant des charges publiques, toutes ces causes avaient irrité le pays, provoqué des agitations menaçantes, et dans le champ-clos du parlement exaspéré l’antagonisme des partis. Un roi fou, un régent dépravé, les affaires en détresse, quelles ténèbres couvraient le prochain avenir ! L’image de la princesse Charlotte auprès du prince Léopold avait été comme un rayon de soleil ; l’annonce de sa grossesse fut un signal d’allégresse et de concorde.