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En 1555, Chancellor reparut en Moscovie avec deux membres de la nouvelle compagnie, Grey et Killingsworth. Il était porteur d’une lettre de ses souverains rédigée en trois langues, le polonais, le grec et l’italien. Personne alors ne savait le russe en Angleterre. Tous les Anglais qui prirent passage sur ses bâtimens durent prêter serment sur l’Évangile qu’ils serviraient fidèlement la compagnie. On était tenu de respecter les lois et la religion du pays. Cette prescription était d’autant plus nécessaire que la rage des controverses commençait à gagner tous les sujets d’Elisabeth ; il y avait sûrement parmi les voyageurs des types de prédicans et de puritains comme ceux qu’a mis en scène Walter Scott ? dans la Rome moscovite, toute peuplée de moines, livrée à des superstitions qui rappelaient celles des papistes, ils ne manqueraient pas de signaler les abominations de Bélial et les idolâtries chananéennes ; il était bon de se mettre en garde contre les dangers que pouvaient susciter leurs déclamations. Les prêcheurs de 1857 ont poussé à bout les musulmans et les brahmanistes de l’Indoustan. Les orthodoxes russes du XVIe siècle eussent été encore moins endurans. En revanche, on devait s’appliquer à exploiter la Russie de son mieux. On devait fixer aux marchandises anglaises les prix les plus élevés et n’offrir que les plus bas aux denrées indigènes, « ne perdant pas de vue que c’est sur les prix du commencement qu’on se règle toujours par la suite. » Les envoyés anglais n’étaient pas depuis dix jours à Moscou qu’ils furent admis à l’audience du tsar. Il leur accorda une charte qui autorisait la compagnie à commercer, sans payer de droits, dans toute l’étendue de l’empire. Les différends entre marchands anglais et sujets russes durent être jugés par le tsar lui-même.

Le commerce britannique allait rencontrer dans la Moscovie des conditions toutes particulières ; on y trouvait en abondance les cuirs de bœuf, les fourrures de zibeline, de castor, d’hermine, de renard bleu et de renard noir, la cire, le miel, le chanvre, le suif, l’huile de phoque, les poissons secs. Dans les bazars de Moscou et les foires du Volga s’entassaient le thé de la Chine, les soieries de la Perse, les étoffes et les épices des Indes ; mais la Russie d’elle-même ne donnait guère que des produits bruts. Peu d’industrie nationale, le despotisme l’avait tuée. Le commerce indigène y était languissant, faute de sécurité. Le tsar se croyait tout permis : Ivan le Grand, l’aïeul du Terrible, avait ruiné pour toujours le commerce de Novgorod en mettant une fois la main sur les marchandises allemandes ; c’était tuer la poule aux œufs d’or, mais la leçon devait être perdue pour ses successeurs. « C’est l’oppression, dit Fletcher, qui ôte au peuple russe le courage de travailler ; il est devenu