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fables quand il veut aller au-delà. L’ambassadeur autrichien reproduit presque dans les mêmes termes qu’Hérodote la légende de ces Scythes qui, rentrant chez eux après une longue absence, trouvent leurs foyers occupés par des bâtards d’esclaves et qui brisent la résistance des rebelles en leur faisant entendre le claquement trop connu de leurs fouets. Hérodote place la scène dans la Tauride, Herberstein à Novgorod-la-Grande ; on retrouve aujourd’hui cette légende à Mangoup-Kalé (Crimée). Herberstein a entendu parler d’une grande chaîne de montagnes qui barre comme une muraille le chemin de la Chine et qu’on appelle la ceinture du monde, l’Oural : le prince Kourbski, célèbre comme historien d’Ivan IV, a même conté à l’envoyé de Hongrie que les Russes avaient mis dix-sept jours à en faire l’ascension. Au-delà, à l’embouchure de l’Obi, s’élève l’idole colossale de la Zlata Baba, la vieille femme d’or, qui tient un enfant dans ses bras, et devant laquelle des trompettes d’airain plantées en terre sonnent d’elles-mêmes une fanfare perpétuelle. Au-delà encore, sur les bords de l’Océan-Glacial, habite la nation des Loukomores, qui meurent tous à la saint George pour ressusciter au printemps. Il y a là de grands fleuves où se rencontre « une certaine espèce de poisson qui a la tête, les yeux, le nez, la bouche, les mains et les pieds d’un homme, qui reste muet pourtant et qui est fort bon à manger. » Or c’est précisément cet au-delà plein de mystères, ces régions peuplées dès les temps d’Hérodote d’êtres fantastiques qui attiraient surtout les Anglais. Cette contrée miraculeuse n’est-elle pas le chemin de Cathay ? On voit aussi dans Herberstein de quels réels dangers et de quelle effrayante fantasmagorie est entourée la navigation dans ces mers sauvages du nord qu’allaient braver les découvreurs britanniques. Il a tout un chapitre sur la Mer-Glaciale, sur ce Cap-Sacré qui se dresse sur les flots semblable à un nez gigantesque, sur ces gouffres qui pendant six heures engloutissent la mer et pendant six autres heures la revomissent avec les carcasses brisées des navires, sur cet océan qui a, comme celui de Barthélémy Diaz, ses caps des tempêtes et ses génies menaçans, sur les merveilles des longs jours et des longues nuits polaires. Quoique le voyageur autrichien ait assez bien décrit certaines provinces de la Russie et noté la distance en verstes d’une ville à l’autre, il se trompe souvent ; les cartes qui accompagnent les éditions successives de son ouvrage montrent quelle fausse idée on se faisait de la configuration générale du pays. La Russie y est tellement déprimée du nord au sud que la Mer-Blanche et le Palus-Méotide semblent vouloir fraterniser et confondre leurs flots comme à l’âge préhistorique de la période glaciaire. Le dessinateur du XVIe siècle, sans tenir compte des steppes nues et des déserts de