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ministère un homme énergique et dont la renommée dût suffire à protéger le pays. Une politique pusillanime, incertaine dans ses vues, trop complaisante pour l’étranger, n’a jamais été une garantie solide de la dignité et de la sécurité d’une grande nation. On est toujours tenté de mettre le pied sur ceux qui s’humilient et s’abandonnent. De plus Shelburne n’avait pas pu se dérober toujours à l’ascendant qu’exerçait sur tous ceux qui l’approchaient un grand esprit comme Pitt. Ajoutons encore, pour expliquer cette conversion, qu’il avait appris que Pitt s’était exprimé sur son compte en des termes très flatteurs, et la louange venant d’une pareille bouche ne pouvait le laisser indifférent.

Malgré le zèle qu’il apportait à ces négociations, il ne put les faire aboutir : il se heurta à des antipathies personnelles. Pitt ne voulait pas laisser rentrer le duc de Bedford dans le ministère ; celui-ci demandait l’éloignement de Bute, et le roi finalement ne voulut pas consentir à rappeler aux affaires ces whigs dont il avait salué la chute avec tant de joie, il y avait peu d’années. Dès qu’il fut constant, après les deux entrevues de Pitt avec le roi, que la combinaison proposée avait échoué et que le roi, malgré son déplaisir, garderait son ancien ministère, Shelburne donna sa démission de la présidence du Conseil du commerce. Walpole, toujours prompt à médire de son prochain, n’a pas manqué d’insinuer que Shelburne avait pressenti la prochaine arrivée de Pitt au ministère et qu’il cherchait dès ce moment à faire sa paix avec lui.

Quelques semaines après, quand s’ouvrirent les débats parlementaires à propos de Wilkes, lord Shelburne parla dans la chambre des lords contre la motion proposée de déclarer que « le privilège du parlement ne s’étendait ni à la production ni à la publication de libelles séditieux. » À la vérité il glissa dans son discours un compliment pour lord Bute et des protestations d’attachement à la couronne ; mais toutes ce précautions et ces réserves n’eurent aucun succès. George III ne pouvait pas supporter la moindre opposition. Il avait pour devise : stet pro ratione voluntas, et il exigeait une soumission absolue. Ceux qui osaient la lui refuser étaient ses ennemis ; ses ministres ne devaient être de fait, comme de nom, que ses serviteurs, et le parlement un lit de justice pour enregistrer ses édits. Aussi ne put-il pardonner à Shelburne de s’être permis un vote indépendant sur une question qui lui tenait à cœur et dont il avait fait la pierre de touche du dévoûment à sa personne. Shelburne, sur son ordre exprès, fut destitué de sa place d’aide-de-camp du roi, sous prétexte « qu’il s’était conduit comme un homme indigne et qu’il n’avait pas tenu sa parole. » Sa majesté eût été bien embarrassée de prouver en quoi Shelburne avait manqué à ses engagemens, car