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il pensait qu’il pourrait agir avec plus de promptitude et mieux saisir l’occasion, s’il n’avait pas l’embarras de gouverner un parti. Toujours en représentation, jamais naturel, dans un état perpétuel de tension et de contrainte, incapable d’amitié ou de tout sentiment qui y ressemblât, il était toujours sur le qui-vive et n’avait jamais d’abandon. »


Pendant dix ans, il avait pu entretenir avec lord Shelburne les rapports d’affaires les plus intimes, le recevoir à toute heure à la ville ou à la campagne, sans lui offrir un verre d’eau ou causer avec lui cinq minutes dès qu’il ne s’agissait plus d’affaires. « Grand de sa personne et aussi bien tourné que peut l’être un martyr de la goutte, avec un œil d’épervier, une petite tête, une figure fine, un long nez aquilin et parfaitement droit, de très bonne compagnie, il avait conservé toutes les manières de la vieille cour avec une certaine dose de pédanterie, en particulier quand il affectait un ton léger. » Cependant lord Shelburne n’était jamais introduit auprès de lui qu’après avoir reçu un rendez-vous, et il le trouvait toujours seul, assis dans son salon, un livre ouvert devant lui, et à la campagne le chapeau et la canne à la main.

Un mois avant que la mort de son père (1761) lui ouvrît la chambre des lords, lord Shelburne avait sollicité la place de contrôleur de la maison royale, et le refus que le nouveau roi opposa à sa requête lui donna de l’humeur. Il parla même de se retirer à la campagne et de se consacrer tout entier à l’administration de ses terres ; mais Fox, un vieil ami de son père, l’en dissuada, lui faisant remarquer qu’il était encore trop jeune pour songer à la retraite ou à la philosophie. Retenu sur la scène politique, Shelburne fut mêlé dès les premières heures à toutes ces intrigues qui commencent avec le règne de George III et qui amenèrent la chute des whigs. Élevé dans les traditions du parti tory, il avait subi plus tard à l’université d’Oxford l’ascendant du docteur King, un jacobite des plus fervens ; il ne fut cependant jamais inféodé à aucun parti. Sa conduite et sa ligne politique furent plutôt celles d’un whig ; mais il ne s’enrôla pas sous cette bannière. Avec la perspicacité qui le distinguait, il s’était bien aperçu, en entrant dans la vie politique, que le parti whig ne vivait plus que de son capital et qu’il était travaillé par des fermens de dissension intérieure et de décomposition. En effet, à l’avènement de George III, la position des partis avait été sensiblement modifiée. Les whigs avaient dû leur triomphe et la longue durée de leur fortune à cette petite noblesse de campagne qui s’était constituée, selon M. Disraeli, après la sécularisation des biens ecclésiastiques. Inquiets sur la valeur de leurs titres de propriété, ils étaient devenus les prétoriens du