Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/818

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’était plus reçue dans la bonne compagnie. Son frère aîné n’était pas enfermé, mais il était obligé de mener une vie très retirée, en Angleterre d’abord, puis sur le continent, et, malgré une fortune considérable dont il avait hérité, il s’était trouvé bientôt gêné, sans amis, victime de sa générosité tout autant que de la mauvaise gestion de ses biens. »


Lord Shelburne le rencontra à Utrecht, et pendant toute une soirée il ne fît que raconter des anecdotes piquantes sur son frère William, et lui donner les noms les plus outrageans, le traitant d’hypocrite, d’imposteur, de misérable.


« Cadet d’une famille sans fortune, William Pitt débuta dans la vie par le métier des armes, et pendant qu’il était cornette de cavalerie, il ne parut pas un livre sur l’art militaire qu’il ne dévorât. Esprit ardent, doué de l’imagination la plus éblouissante, avec un grain de folie, il s’appliqua dès sa plus tendre jeunesse à l’étude du style, à l’art d’exprimer sa pensée, de la formuler d’une manière saisissante ; totus in hoc, sans paraître, e soucier beaucoup de toute autre science. »


Cependant, pas plus que lord Grenville, il n’était capable de bien tourner une lettre ordinaire ; aussi Wilkes l’appelait le premier orateur et le plus mauvais épistolier de son temps, Son imagination était si puissante que les choses lui apparaissaient dans une lumière plus intense la seconde fois que la première. Ce n’est pas à propos de lui qu’on aurait pu dire que l’imagination est une sensation affaiblie.


« Il était si jaloux de ne pas fausser son goût qu’il évitait de jeter les yeux sur une mauvaise gravure. Maître de lui, il contenait ou sacrifiait toute autre passion pour ménager libre carrière a son ambition. Il est de mode de soutenir que Pitt était violent, impétueux, romanesque, qu’il méprisait l’argent, qu’il était ennemi de l’intrigue, connaissait mal les hommes et ne s’inquiétait pas des conséquences. Rien n’est moins exact que ce jugement ; sans avoir recours à des témoignages particuliers, on peut dire que l’ensemble de sa vie le dément. Sans doute il n’était pas l’esclave de l’avarice : à l’endroit de l’argent comme de toute autre chose, il savait réprimer ses désirs ; mais il aimait l’ostentation à un degré ridicule, prodigue dans sa maison et dans sa famille au-delà de toute prudence. Certainement son mariage n’avait eu rien de sentimental, et les conditions qu’il stipula au moment où il descendit du pouvoir ne témoignent pas précisément d’une complète indifférence à l’endroit de l’argent ou d’autres avantages… Du reste sa maxime favorite était qu’avec peu de chose de nouveau on pouvait aller très loin, obtenir de grands résultats. Il savait prendre une résolution sur-le-champ et sans tergiverser. Il ne se donnait pas le souci de ménager les individus, car