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général. Les envoyés de la cour le trouvèrent dans un fauteuil avec toutes les apparences d’un vieillard qui radote, et tout ce qu’ils purent tirer de lui, ce fut : « concentrez l’armée et n’éparpillez pas les corps. » Le capitaine tant de fois victorieux ne pouvait plus tracer un plan de campagne et mener ses soldats à la victoire ; mais dans ce corps usé et affaissé il avait rassemblé assez de lumière pour donner encore un bon conseil, et de sa voix cassée il leur avait rappelé les règles de son art, et la tactique qui l’avait illustré.

Au nombre de ceux qui ont le mieux rempli le programme de la dynastie de Hanovre, tel que l’a tracé Shelburne, « la royauté sans le gouvernement personnel et la chambre des communes faisant les affaires du pays, » il n’en est pas de plus distingué par ses talens, autant que par sa longue administration, que Robert Walpole.


« Comparé à tous les hommes de son temps, il était le plus capable de conduire la chambre des communes ; la rectitude et la clarté de son esprit, sa fermeté, son expérience des affaires, son amabilité et sa large hospitalité de gentilhomme campagnard le désignaient pour remplir ces fonctions. C’était tout l’opposé du duc de Newcastle : il avait des idées arrêtées et ne laissait à personne le soin de penser pour lui. Il ne souffrait pas qu’un autre s’occupât de son ministère, et il respectait le département de ses collègues. Quand on lui parlait à son lever d’affaires de finances, il avait l’habitude de répondre : « Persuadez Lowndes[1] ; quant à moi, je n’ai pas d’objection. » Toujours de bonne humeur et d’un caractère très égal, une seule fois il s’emporta au conseil des ministres et il leva la séance sur-le-champ, disant qu’un homme n’était pas en état de s’occuper d’affaires quand il n’était plus de sang-froid : du reste de manières grossières, cynique dans ses propos, en particulier sur l’amour et les femmes, ce qui ne l’empêchait pas d’être leur esclave. Quand un de ses amis venait lui parler des infidélités de Mrs…, il lui fermait la bouche incontinent et déclarait qu’il ne voulait rien entendre sur ce sujet, car il ne pouvait pas se passer d’elle. Sans scrupule, il pratiquait largement la corruption et ne s’en cachait pas. Un jour, pendant la confusion qui accompagnait un vote de la chambre des communes, lord Welcombe se trouva à côté de lui, et, se penchant à son oreille, Walpole lui dit avec ce naturel parfait qui indiquait un entier désintéressement des questions morales : « Jeune homme, je vais vous raconter l’histoire de tous vos amis à mesure qu’ils passeront devant nous. Un tel, j’ai sauvé son frère de la potence, celui-ci de la misère ; les deux fils de cet autre, je les ai placés… » Vingt années de pouvoir se résumaient en deux mots : perfidie et ingratitude. »

  1. Le secrétaire de la trésorerie.