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refusons pas à Louis XIV un talent incomparable pour l’art de représenter cet élément prestigieux du pouvoir, qui, selon la fine analyse de M. Bagehot, est une des forces de la royauté, surtout aux époques où les peuples sont conduits par l’imagination ; mais après nous être prosternés devant cette majesté imposante, nous nous étonnerons que Shelburne puisse lui décerner un brevet de bon administrateur au mépris de ces entreprises inspirées par un orgueil insensé et de ces mesures funestes qui ont amassé sur ses successeurs l’orage et la foudre, et qui font de son long règne comme le suicide de la monarchie.


II

Des mémoires écrits par un témoin bien placé pour observer, pour recueillir les propos ou les attitudes qui livrent le secret d’un homme, ont tout l’attrait d’un salon où se rencontrent les hommes qui marquent dans la politique ou dans les lettres. Sans l’ennui de se soumettre aux exigences de la vie du monde, ou a la comédie dans son fauteuil, on voit venir sur la scène, on suit de près tous ces demi-dieux que le public aperçoit d’en bas et voit de loin passer dans le rayon doré de la renommée. On surprend leur physionomie quand ils lèvent le masque, quand ils déposent le personnage pour laisser apparaître l’homme. On les entend livrer leurs pensées de derrière, comme dit Pascal ; le plaisir et le profit sont au comble quand la galerie qu’on vous ouvre est aussi riche, aussi bien choisie que celle de lord Shelburne.

Voici d’abord un des grands ennemis de la France, le duc de Marlborough, que nous avons chansonné, mais dont nous n’avons pas nié les talens d’homme de guerre, comme l’affirme lord Shelburne en laissant entendre que le vaincu a mauvaise grâce à contester la valeur d’un général qui nous a toujours battus. Napoléon en effet, dont les jugemens font loi en cette matière, a parlé du duc dans les termes les plus flatteurs, et c’est sous ses auspices qu’a paru en France la meilleure histoire de Jean Churchill, duc de Marlborough ; mais son entreprise et sa délicatesse n’ont pas rencontré d’aussi bons garans. On sait que sous le règne de la reine Anne ce fut lui qui fut roi, grâce à l’ascendant que la duchesse de Marlborough exerçait sur la reine, et dont elle abusait, indignement. Elle avait coutume de répéter que ce n’était pas la peur du diable qui la tenait à l’écart de certaines intrigues, mais sa résolution arrêtée de ne dépendre jamais de personne. Jalouse de pouvoir, impatiente de tout frein, elle s’abandonnait à ses passions, car personne, et pas plus son mari que d’autres, n’avait d’autorité sur elle pour la