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vie dans la partie la plus retirée du sud de l’Irlande, sous la domination d’un vieux grand-père, Thomas Fitzmaurice, comte de Kerry. Ce puissant seigneur avait bien le caractère le plus sévère, le plus obstiné qu’on pût imaginer ; peu intelligent, mais doué de nerfs solides et d’une persévérance que rien ne lassait, sans grande éducation, sauf celle qu’il avait reçue à l’armée, où il avait laissé la réputation d’un homme brave et actif, un bel homme d’ailleurs, qui « pour mon bonheur et celui des miens, remarque Shelburne, épousa une femme très laide, la fille de sir William Petty, qui apporta dans notre famille tout le bon sens que nous avons montré et la fortune que nous conserverons, je pense. » Lord Shelburne n’eut pas le bonheur d’être élevé par cette femme judicieuse ; elle mourut peu de mois après sa naissance, et il resta sous la tutelle de ce terrible grand-père qui, après la mort de sa femme, s’enferma dans sa vie de gentilhomme campagnard. La monotonie de cette existence n’était troublée que par l’arrivée de l’almanach : c’était le grand événement de l’année, et le comte de Kerry ne permettait pas qu’un autre que lui en fît la lecture à toute la famille. Cet almanach lui tenait lieu de toute autre littérature ; il le lisait tous les soirs jusqu’à ce que celui de l’année suivante eût paru. Du reste, c’était un homme d’honneur, d’une justice inflexible et qui gouvernait son comté comme ses enfans. Il tenait tout ce pays barbare sous sa main de fer ; prompt à réprimer toutes les violences, il faisait exécuter les lois avec un soin scrupuleux et assurait aux étrangers le respect de leurs personnes et de leurs propriétés. Jusqu’au sein de la famille, il apportait cet esprit de rigoureuse justice, il ne connaissait pas d’autres principes ; aussi ses enfans comme ses serviteurs avaient peur de lui et ne l’aimaient pas. Quant à lui, il ne témoignait d’affection que pour son petit-fils, dont nous résumons la biographie.

Ce n’était pas auprès de ses parens directs, au foyer paternel, que lord Shelburne pouvait recueillir des impressions plus douces et corriger ce tempérament un peu farouche qui semble avoir été le caractère de la famille pendant plusieurs générations. Son père avait été éteint et brisé sous cette discipline de fer qui ne permettait aucune résistance, et quand il échappa à cette contrainte le pli était pris, il ne put pas ressaisir le gouvernement de lui-même ; il ne fit que changer de vasselage et tomba sous la tutelle de sa femme, personne très passionnée, irritable, d’une activité dévorante, avide de pouvoir et d’argent encore plus. Lord Kildare, dans une lettre qu’il adressait à lord Holland et où il essayait de marquer tous les travers de caractère et les défauts de Shelburne, assure que par tous ces côtés il était bien le fils de sa mère. Livré aux exemples et aux influences de la maison paternelle, lord