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une côte escarpée, un canot à droite ; en bas, canot de pêche avec figure tachée de rouge ; à gauche, deux bateaux à voiles ; pas de vent, nuit tranquille, sereine, eaux toutes calmes ; la lune pleine à mi-hauteur du tableau, un peu à gauche, absolument nette dans une large trouée de ciel pur ; le tout incomparablement vrai et beau, de couleur, de force, de transparence, de limpidité. Un Claude Lorrain de nuit, plus grave, plus simple, plus plein, plus naturellement exécuté d’après une sensation juste ; un véritable trompe-l’œil avec l’art le plus savant. »

Comme on le voit, Cuyp réussit à chaque entreprise nouvelle. Et si on s’appliquait à le suivre, je ne dis pas dans ses variations, mais dans la variété de ses tentatives, on s’apercevrait qu’en chaque genre il a dominé par momens, ne fût-ce qu’une fois, tous ceux de ses contemporains qui se partageaient autour de lui le domaine si singulièrement étendu de son art. Il aurait fallu le bien mal comprendre ou se bien peu connaître pour refaire après lui un Clair de lune, un Débarquement de prince en grand appareil naval, pour peindre Doordrecht et ses environs. Ce qu’il a dit est dit, parce qu’il l’a dit à sa manière, et que sa manière sur un sujet donné vaut toutes les autres.

Il a la pratique d’un maître, l’œil d’un maître. Il a créé, chose qui suffit en art, une formule fictive et toute personnelle de la lumière et de ses effets. Il a eu cette puissance assez peu commune d’imaginer d’abord une atmosphère et d’en faire non-seulement l’élément fuyant, fluide et respirable, mais la loi et pour ainsi dire le principe ordonnateur de ses tableaux. C’est à cela qu’il est reconnaissant. Si l’on n’aperçoit pas qu’il ait agi sur son école, à plus forte raison peut-on s’assurer qu’il n’a subi l’influence de personne. Il est un ; quoique divers, il est lui. Cependant, car il y a suivant moi un cependant avec ce beau peintre, il lui manque ce je ne sais quoi qui fait les maîtres indispensables. Il a pratiqué supérieurement tous les genres, il n’a pas créé un genre ni un art ; il ne personnifie pas dans son nom toute une manière de voir, de sentir ou de peindre, comme on dirait : C’est du Rembrandt, du Paul Potter ou du Ruysdael. Il vient à un très haut rang, mais certainement en quatrième ligne, dans ce juste classement des talens où Rembrandt trône à l’écart, où Ruysdael est le premier. Cuyp absent, l’école hollandaise y perdrait des œuvres superbes : peut-être n’y aurait-il pas un grand vide à combler dans les inventions de l’art hollandais.


IV

Une question se présente, entre beaucoup d’autres, quand on étudie le paysage hollandais et qu’on se souvient du mouvement