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s’assouplit. Quant aux objets de substance plus solide, de contours plus arrêtés, de couleur plus évidente et plus consistante, il ne craint pas d’en élargir les plans, d’en étoffer la forme, d’insister sur les côtés robustes, et d’être un peu lourd, pour n’être jamais faible ni par le trait, ni par le ton, ni par la facture. En pareil cas, il ne se raffine plus, et, comme tous les bons maîtres à l’origine des fortes écoles, il ne lui en coûte aucunement de manquer de charme, lorsque le charme n’est pas le caractère essentiel de l’objet qu’il représente.

Voilà pourquoi ses cavalcades du Louvre ne sont pas, selon moi, le dernier mot de sa belle manière sobre, un peu grosse, abondante, tout à fait mâle. Il y a là un excès de dorure, du soleil et tout ce qui s’ensuit, rougeurs, luisans, reflets, ombres portées ; ajoutez-y je ne sais quel mélange de plein air et de jour d’atelier, de vérité textuelle et de combinaisons, enfin je ne sais quoi d’improbable dans les costumes et de suspect dans les élégances, d’où il résulte que malgré des qualités hors ligne, ces deux tableaux ne rassurent pas absolument. Le musée de La Haye possède un Portrait du sire de Roovère dirigeant la pêche du saumon aux environs de Doordrecht, qui reproduit avec moins d’éclat, avec plus d’évidence encore quant aux défauts, le parti-pris des deux toiles célèbres dont je parle. Le personnage est un de ceux que nous connaissons. Il est en habit ponceau brodé d’or, bordé de fourrures, avec toque noire à plumes roses et sabre courbe à poignée dorée. Il monte un de ces grands bais bruns dont vous connaissez aussi la tête busquée, le coffre un peu lourd, les jambes raides et les sabots de mule. Mêmes dorures dans le ciel, dans les fonds, dans les eaux, sur les visages, mêmes reflets trop clairs, comme il arrive dans la vive lumière quand l’air ne ménage en rien ni la couleur, ni le bord extérieur des objets. Le tableau est naïf et bien assis, ingénieusement coupé, original, personnel, convaincu ; mais, à force de vérité, l’abus de la lumière ferait croire à des erreurs de savoir et de goût.

Maintenant voyez Cuyp à Amsterdam au musée Six et consultez les deux grandes toiles qui figurent dans cette collection unique. L’une représente l’Arrivée de Maurice de Nassau à Scheveninguen. C’est une importante page de marine avec bateaux chargés de figures. Ni Backhuysen, ai-je besoin de le dire ? ni Van de Velde, ni personne, n’aurait été de force à construire, à concevoir, à colorer de la sorte un tableau d’apparat de ce genre et de cette insignifiance. Le premier bateau à gauche, opposé à la lumière, est un morceau admirable. Quant au second tableau, le très fameux effet de lune sur la mer, je relève sur mes notes la trace assez succinctement formulée de la surprise et du plaisir d’esprit qu’il m’a causés. « Un étonnement et une merveille : grand, carré ; la mer,