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joies, s’il eut certainement des amertumes ? Sa destinée lui donnât-elle l’occasion d’aimer autre chose que des nuages, et de quoi souffrit-il le plus, s’il a souffert, du tourment de bien peindre ou de vivre ? Toutes ces questions restent sans réponse, et cependant la postérité se les adresse. Auriez-vous jamais l’idée d’en demander autant sur Berghem, Karel-Dujardin, Wouwerman, Goyen, Terburg, Metzu, Pierre de Hooch lui-même ? Tous ces peintres brillans ou charmans peignirent, et il semble que ce soit assez. Ruysdael peignit, mais il vécut, et voilà pourquoi il importerait tant de savoir comment il vécut. Je ne connais dans l’école hollandaise que trois ou quatre hommes dont la personne intéresse à ce point : Rembrandt, Paul Potter, Ruysdael, Cuyp peut-être, et c’est déjà plus qu’il n’en faut pour les classer.


III

Cuyp non plus ne fut pas très goûté de son vivant, ce qui ne l’empêcha pas de peindre comme il l’entendait, de s’appliquer ou de se négliger tout à son aise, et de ne suivre en sa libre carrière que l’inspiration du moment. D’ailleurs cette défaveur assez naturelle, si l’on songe au goût pour l’extrême fini qui régnait alors, il la partageait avec Ruysdael, il la partagea même avec Rembrandt, lorsque vers 1650 Rembrandt cessa tout à coup d’être compris. Il était, comme on le voit, en bonne compagnie. Depuis il a été bien vengé, par les Anglais d’abord, plus tard par l’Europe entière. Dans tous les cas, Cuyp est un très beau peintre. En premier lieu, il a ce mérite d’être universel. Son œuvre est un si complet répertoire de la vie hollandaise, surtout en son milieu champêtre, que son étendue et sa variété suffiraient à lui donner un intérêt considérable. Paysages, marines, chevaux, bétail, personnages de toute condition, depuis les hommes de fortune et de loisir jusqu’aux bergers, petites et grandes figures, portraits et tableaux de basses-cours, telles sont les curiosités et les aptitudes de son talent qu’il aura contribué plus qu’aucun autre à élargir le cadre des observations locales où se déployait l’art de son pays. Né l’un des premiers en 1605, de toutes les manières par son âge, par la diversité de ses recherches, par la vigueur et l’indépendance de ses allures, il aura été l’un des promoteurs et des initiateurs les plus actifs de l’école.

Un peintre qui d’une part touche à Hondekoeter, de l’autre à Ferdinand Bol, et, sans imiter Rembrandt, qui peint des animaux aussi aisément que Van de Velde, des ciels mieux que Both, des chevaux et de grands chevaux plus sévèrement que Wouwerman ou Berghem ne peignent les leurs en petit, — qui sent vivement la mer, les fleuves et leurs rivages, qui peint des villes, des bateaux