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été admise aux fêtes de la cour ; pauvre recluse, il fallait bien qu’on lui vînt en aide, et n’était-ce pas chez le duc et la duchesse d’York qu’elle avait trouvé le plus de sympathie ? Sa tante York eut l’heureuse pensée de donner un bal où sa nièce pourrait rencontrer le prince de Saxe-Cobourg. Le bal eut lieu, les jeunes gens se virent, se parlèrent et s’entendirent si bien que, dès ce soir-là même, toutes les promesses furent échangées.

L’affaire où s’engageait le prince Léopold offrait de terribles difficultés. Aspirer à la main de la princesse Charlotte après tout ce qui venait de se passer, n’était-ce pas la plus téméraire des entreprises ? Qu’on se figure à cette demande les éclats de colère du régent. Il avait menacé sa fille de ne point la marier, si elle rompait avec le prince d’Orange ; elle venait de rompre, et au lendemain de cette rupture il se donnerait un tel démenti ! À ces scrupules d’ailleurs s’ajoutaient des inquiétudes personnelles ; que serait-il pour le prince de Galles, ce prétendant si empressé ? Un ami ou un ennemi ? Des bruits étranges lui arrivaient sur les moyens dont le jeune Cobourg s’était servi pour captiver la fantasque Charlotte. On a toujours des envieux quand on réussit trop vite ; l’envie et la colère avaient suggéré, non pas sans doute au prince d’Orange, mais à ses amis, à ses partisans, à tel ou tel des agens diplomatiques de son père, de sottes et odieuses calomnies. Rien n’est plus terrible que certaines paroles jetées négligemment dans un salon ; un mot, une réticence, un sourire, c’en est assez bien souvent pour perdre un homme auprès de ceux qui peuvent disposer de sa destinée. Les gens intéressés à compromettre le prince Léopold aux yeux du régent d’Angleterre en furent bientôt pour leurs frais d’invention. Par la grâce et la franchise de ses allures, le prince fit bien plus que se justifier, il inspira au régent des sentimens d’affectueuse estime. Il s’acquit aussi la confiance des ministres, et même l’amitié de plusieurs membres de la famille royale. Le duc d’York et le duc de Kent lui étaient particulièrement favorables. On sait que le duc de Kent est le père de la reine Victoria, il n’était point marié à cette date et ne songeait guère à devenir chef de famille. Le prince Léopold lui apparut comme le meilleur des guides pour cette jeune fille qui semblait destinée au trône d’Angleterre. Aussi, lorsque le prince quitta Londres, à la fin du mois de juillet 1814, le duc de Kent voulut-il être son intermédiaire auprès de la princesse Charlotte ; c’est par ses mains que passèrent les messages où les deux futurs époux se renouvelaient l’assurance de leur inaltérable attachement.

Messages, promesses, tout cela est fort bien, mais pourquoi tant de discrétion ? Pourquoi n’avoir pas fait résolument sa demande ?