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Guillaume Van de Velde est sec, froid et mince, presque toujours bien dessiné, rarement bien peint, vite observé, peu médité. Isaac Ostade est trop roux, avec des ciels trop nuls. Van-Goyen est par trop incertain, volatil, évaporé, cotonneux ; on y sent la trace rapide et légère d’une intention fine, l’ébauche est charmante, l’œuvre n’est pas venue, parce qu’elle n’a pas été substantiellement nourrie d’études préparatoires, de patience et de travail. Cuyp lui-même souffre sensiblement de ce voisinage sévère, lui si fort et si sain. Sa continuelle dorure a des gaîtés dont on se lasse, à côté des sombres et bleuâtres verdures de son grand émule, et quant à ce luxe d’atmosphère qui semble un reflet pris au midi pour embellir ses tableaux du nord, on cesse d’y croire, pour peu qu’on connaisse les bords de la Meuse ou du Zuiderzée.

En général on remarque dans les tableaux hollandais, j’entends les tableaux de plein air, un parti-pris de force sur des clairs, qui leur donne beaucoup de relief et, comme on dit dans la langue des peintres, une particulière autorité. Le ciel y joue le rôle de l’aérien, de l’incolore, de l’infini, de l’impalpable. Pratiquement il sert à mesurer les valeurs puissantes du terrain, et par conséquent à découper d’une façon plus ferme et plus tranchée la silhouette du sujet. Que ce ciel soit en or comme chez Cuyp, en argent comme chez Van de Velde ou Salomon Ruysdael, floconneux, grisâtre, fondu dans des buées légères comme dans Isaac Ostade, Van-Goyen, ou Wynants, — il fait trou dans le tableau, conserve rarement une valeur générale qui lui soit propre et presque jamais ne se met avec l’or des cadres dans des relations bien décisives. Estimez la force du pays, elle est extrême. Tâchez d’estimer la valeur du ciel, et le ciel vous surprendra par l’extrême clarté de sa base. Je vous citerais ainsi tels tableaux dont on oublie l’atmosphère et tels fonds aériens, qu’on pourrait repeindre après coup sans que le tableau, terminé d’ailleurs, y perdît. Beaucoup parmi les œuvres modernes en sont là. Il est même à remarquer, sauf quelques exceptions que je n’ai point à signaler si je suis bien compris, que notre école moderne en son ensemble paraît avoir adopté pour principe que l’atmosphère étant la partie la plus vide et la plus insaisissable du tableau, il n’y a pas d’inconvénient à ce qu’elle en soit la partie la plus incolore et la plus nulle.

Ruysdael a senti les choses différemment et fixé une fois pour toutes un principe bien autrement audacieux et vrai. Il a considéré l’immense voûte qui s’arrondit au-dessus des campagnes ou de la mer comme le plafond réel, compacte, consistant de ses tableaux. Il le courbe, le déploie, le mesure, il en détermine la valeur par rapport aux accidens de lumière semés dans l’horizon terrestre ; il en nuance les grandes surfaces, les modèle, les exécute en un mot,