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qu’il s’en faut à la fois de très peu et de beaucoup qu’ils n’aient strictement raison.

Tout cela, c’était l’a b c de l’art hollandais, ce devrait être l’a b c du nôtre. Je ne sais pas quelle était, doctrinalement parlant, l’opinion de Pierre de Hooch, de Terburg et de Metzu sur les valeurs, ni comment ils les nommaient, ni même s’ils avaient un nom pour exprimer ce que les couleurs doivent avoir de nuancé, de relatif, de doux, de suave, de subtil dans leurs rapports. Peut-être le coloris dans son ensemble comportait-il à la fois toutes ces qualités soit positives, soit impalpables. Toujours est-il que la vie de leurs œuvres et la beauté de leur art tiennent précisément à l’emploi savant de ce principe. La différence qui les sépare des tentatives modernes est celle-ci : de leur temps, on n’attachait au clair-obscur un grand prix et un grand sens, que parce que cela paraissait être l’élément vital de tout art bien conçu. Sans cet artifice, où l’imagination joue le premier rôle, il n’y avait pour ainsi dire plus de fiction dans la reproduction des choses, et partant l’homme s’absentait de son œuvre ou du moins n’y participait plus à ce moment du travail où sa sensibilité doit surtout intervenir. Les délicatesses d’un Metzu, le mystère d’un Pierre de Hooch tiennent, je vous l’ai dit, à ce qu’il y a beaucoup d’air autour des objets, beaucoup d’ombres autour des lumières, beaucoup d’apaisemens dans les couleurs fuyantes, beaucoup de transpositions dans les tons, beaucoup de transformations purement imaginaires dans l’aspect des choses, en un mot, le plus merveilleux emploi qu’on ait jamais fait du clair-obscur, en d’autres termes aussi, la plus judicieuse application de la loi des valeurs. Aujourd’hui c’est le contraire. Toute valeur un peu rare, toute couleur finement observée, semblent avoir pour but d’abolir le clair-obscur et de supprimer l’air. Ce qui servait à lier sert à découdre. Toute peinture dite originale est un placage, une mosaïque. L’abus des rondeurs inutiles a jeté dans l’excès des surfaces plates, des corps sans épaisseur. Le modelé a disparu le jour même où les moyens de l’exprimer semblaient meilleurs et devaient le rendre plus savant, de sorte que ce qui fut un progrès chez les Hollandais est pour nous un pas en arrière, et qu’après être sortis de l’art archaïque, sous prétexte d’innover encore, nous y revenons.

Que dire à cela ? Quel est celui qui démontrera l’erreur où nous tombons ? De claires et frappantes leçons, qui les donnera ? Il y aurait un expédient plus sûr : faire une belle œuvre qui contînt tout l’art ancien avec l’esprit moderne, qui fût le XIXe siècle et la France, ressemblât trait pour trait à un Metzu, et ne laissât pas voir qu’on s’en est souvenu.