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Steen quand il est à jeun, et le Louvre ne donne qu’une idée très imparfaite de sa tempérance et de son grand talent. Van der Meer est presque inédit en France, et comme il a des côtés d’observateur assez étranges même en son pays, le voyage ne serait pas inutile si l’on tenait à se bien renseigner sur cette particularité de l’art hollandais. A part ces découvertes et quelques autres de peu de prix, il n’en reste pas à faire de notables en dehors du Louvre et de ses annexes, j’entends par là certaines collections françaises qui ont la valeur d’un musée par le choix des noms et la beauté des exemplaires. On dirait que Ruysdael a peint pour la France, tant ses œuvres y sont nombreuses, tant il est visible aujourd’hui qu’on le goûte et qu’on le respecte. Pour deviner le génie natif de Paul Potter ou la puissance expansive de Cuyp, il faudrait peut-être quelque effort d’induction ; mais on y arriverait. Hobbema aurait pu se borner à peindre le Moulin du Louvre ; il gagnerait certainement à n’être connu que par cette page maîtresse. Quant à Metzu, Terburg, aux deux Ostade, surtout à Pierre de Hooch, on pourrait presque les voir à Paris et s’en tenir là.

Aussi j’ai cru longtemps, et c’est une opinion qui se confirme ici, que quelqu’un nous rendrait un grand service en écrivant un voyage autour du Louvre, moins encore, car la vie n’y suffirait pas, un voyage autour du salon carré, moins encore, un simple voyage autour de quelques tableaux, parmi lesquels on choisirait, je suppose, la Visite de Metzu, le Militaire et la Jeune Femme de Terburg et l’Intérieur hollandais de Pierre de Hooch. Assurément ce serait, sans aller bien loin, une exploration originale et aujourd’hui de grand enseignement. Un critique éclairé qui se chargerait de nous révéler tout ce que renferment ces trois tableaux, nous étonnerait, je crois, beaucoup par l’abondance et la nouveauté des aperçus. On verrait qu’une œuvre d’art bien modeste peut servir de texte à de longues analyses. On s’apercevrait que l’étude est un travail en profondeur plutôt qu’en étendue, qu’il n’est pas nécessaire d’en élargir les limites pour en accroître la force pénétrante, et qu’il y a de très grandes lois dans un petit objet.

Qui nous a jamais défini dans son intimité la manière de ces trois peintres, les meilleurs, les plus savans dessinateurs de l’école, du moins en fait de figures ? Le Lansquenet de Terburg par exemple, ce gros homme en harnais de guerre, avec sa cuirasse, son pourpoint de buffle, sa grande épée, ses bottes à entonnoir, son feutre posé par terré, sa grosse face enluminée, mal rasée, un peu suante, avec ses cheveux gras, ses petits yeux humides et sa large main, potelée et sensuelle, dans laquelle il offre des pièces d’or et dont le geste nous éclaire assez sur les sentimens du personnage, et sur l’objet de sa visite, — cette figure, un des plus beaux morceaux