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ces différences, tous les embryons se ressemblent dans les premières semaines et témoignent ainsi de leur origine commune. Ainsi les embryons de l’homme, du chien, de la tortue, âgés d’un mois, et celui de la poule au quatrième jour de l’incubation, diffèrent si peu l’un de l’autre qu’on ne saurait les distinguer[1] ; mais, au bout de six ou huit semaines pour les deux mammifères et le reptile et de huit jours pour le poulet, les traits distinctifs apparaissent et s’accentuent à mesure que l’animal s’accroît. Aussi le fondateur de l’embryologie comparée, l’illustre Ernest de Baer, avait-il coutume de dire que, s’il oubliait par malheur d’étiqueter les bocaux renfermant les embryons très jeunes qu’il recevait de toutes parts, il lui était dans la suite impossible de dire à quelle classe d’animaux ces fœtus appartenaient. Je comprends l’étonnement des commençans et des gens du monde lorsqu’ils voient que les caractères généraux des grandes divisions du règne animal et du règne végétal sont empruntés à l’embryon, état initial et passager des êtres organisés ; mais, grâce aux doctrines évolutionistes, il est clair que l’embryon seul pouvait fournir ces caractères, car seul il présente l’ensemble de ceux qui sont fondamentaux et communs à toute une classe ; plus tard ils sont masqués par le développement diversifié des êtres qui la composent.

Quand on a voulu diviser une grande classe, les mammifères par exemple, la génération a encore fourni le seul trait commun qui s’appliquât à tous les animaux compris dans les trois subdivisions principales. Chez les mammifères supérieurs, le fœtus acquiert déjà un grand développement dans le sein de la mère avec laquelle il communique par un organe spécial appelé placenta. Dans les mammifères plus inférieurs, appelés didelphes ou marsupiaux, ce fœtus est expulsé de bonne heure et déposé par la mère dans une poche lorsqu’il pèse à peine quelques grammes ; il se greffe sur une tétine, grandit dans cette poche, et s’y réfugie encore au moindre danger lorsqu’il est assez fort pour la quitter. Enfin dans les monotrèmes ou ornithodelphes, le mode de génération est intermédiaire entre celui des vivipares ou mammifères et des ovipares ou reptiles et oiseaux.

L’identité originelle des espèces d’un même ordre nous est révélée également par l’embryologie dans les rangs inférieurs du règne animal. Rien de plus divers que les genres dont se compose l’ordre des crustacés. Un certain nombre d’entre eux avaient été rangés jadis dans la classe des mollusques, et il n’est pas de zoologiste qui ne s’étonne à ses débuts de voir figurer dans un même groupe des animaux aussi différens qu’un anatife, un crabe, une écrevisse, une

  1. Voyez Haeckel, Histoire de la Création des êtres organisés, traduction française, pl. II, p. 271.