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terre renfermait des coquilles qui avaient vécu dans le sein de mers disparues dont le fond émergé constituait le squelette des continens actuels. Leur œil exercé avait reconnu l’analogie de ces formes nouvelles avec les formes connues des coquilles vivantes ; mais c’est seulement un siècle plus tard que cette vérité fut établie scientifiquement par Stenon et Hooke, puis vulgarisée par Buffon. Les progrès de la paléontologie ne pouvaient être rapides. Les matériaux dont elle se sert, enfouis dans les profondeurs de la terre, ne sont le plus souvent restitués à la lumière que par des fouilles entreprises dans une intention toute différente : c’est le hasard qui les met au jour, et la plupart de ces restes négligés, dispersés, oubliés, souvent détruits, sont perdus pour l’étude. On ne recueillit d’abord que des débris animaux, ossemens, carapaces et coquilles, les empreintes végétales conservées dans le sein de la terre passaient complètement inaperçues. On savait seulement qu’il existait des bois silicifiés fossiles, semblables au bois de nos arbres vivans.

L’ignorance de la paléontologie se compliquait chez Linné et ses contemporains d’une idée préconçue : ils admettaient a priori que les espèces avaient été créées l’une après l’autre, qu’elles jouissaient d’une existence propre et se distinguaient par des caractères dits spécifiques se transmettant héréditairement par voie de génération. Ces naturalistes étaient convaincus que ces espèces n’avaient d’autre lien entre elles qu’une ressemblance plus ou moins étroite avec d’autres espèces auxquelles on les réunissait pour constituer le groupe conçu sous le nom de genre par Tournefort. Ce préjugé, joint à l’absence de toute notion paléontologique, empêchait le progrès qui s’est accompli depuis ; il se faisait dans une autre direction : la botanique, science purement descriptive à cette époque, avait devant elle la tâche immense de découvrir, de reconnaître, de décrire et de classer les végétaux vivans à la surface du globe : elle y suffisait à peine, et l’inventaire est loin d’être achevé.

La paléontologie systématique est l’œuvre du XIXe siècle. Sous l’impulsion de Cuvier, celle des animaux devança celle des végétaux. Cependant ceux-ci sont étudiés à leur tour par Schlotheim, Adolphe Brongniart, Corda, Lindley et Goeppert ; mais, la plupart des animaux et des végétaux découverts dans le sein de la terre paraissant fort différens de ceux qui vivent actuellement, on en avait conclu qu’il y avait discontinuité complète entre la création des êtres organisés vivans et celle des corps organisés fossiles. Le génie de Cuvier n’avait cependant pas méconnu que les espèces éteintes rentraient dans le cadre général du règne animal et comblaient certaines lacunes entre les différens ordres dont il se compose ; mais il n’admettait pas que les animaux vivans fussent les descendans de leurs ancêtres disparus. La géologie de cette époque