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nouvelle, elle lui déclara en le congédiant que tout était fini entre eux d’une façon irrévocable. Son parti était si bien arrêté que le même jour elle lui renouvela cette déclaration par écrit et le chargea d’en faire part au régent.

Un tel office ne souriait guère au prince d’Orange. Le régent était vif, sanguin et très prompt aux paroles aiguës. Que son déplaisir s’exhalât en éclats de colère ou en termes de raillerie, le prince craignait de s’y exposer. Deux jours après, le 18 juin, il déclina la commission de la princesse dans une lettre que nous a conservée M. de Stockmar et dont voici la traduction exacte :


« 8, Clifford-street, 18 juin 1814.

« Chère Charlotte,

« J’ai trouvé votre lettre avant-hier, et je n’ai point négligé d’en informer ma famille, mais je ne puis me rendre à votre désir d’en informer aussi le régent. C’est chose trop délicate pour moi de traiter ce sujet avec lui. Dans l’espérance que vous n’aurez jamais à vous repentir de la détermination que vous avez prise, je reste votre dévoué,

« GUILLAUME. »


La princesse, obligée de signifier elle-même au régent la brusque rupture, lui écrivit ce jour-là même, le 18 juin, et, soit qu’elle sentît le besoin de détourner la colère paternelle, soit que ce fût en effet sa manière de voir, elle essaya d’en rejeter la faute sur Le prince d’Orange. C’est peut-être le seul moment de faiblesse qu’elle ait eu dans cette longue affaire. Il eût été plus digne d’elle assurément de dire ses raisons sans détour, mais comment s’étonner qu’une jeune fille de dix-huit ans ait tremblé un instant devant un père dont elle connaissait trop les violences ? On va voir que ces craintes n’avaient rien que de naturel. Le régent adressa le lendemain à sa fille une lettre brève et irritée ; puis, comme s’il pensait qu’elle reviendrait d’elle-même, il évita de lui donner signe de vie pendant plusieurs semaines. Vain espoir, la princesse ne disait mot. Enfin, perdant patience, le régent résolut de faire ce que Stockmar appelle un coup d’état. Le 12 juillet, il parut subitement chez sa fille à Warwick-house, congédia toutes les personnes de son entourage comme complices de sa révolte, et lui notifia son exil à Cranbourne-Lodge, près de Windsor. On devine l’exaspération de la princesse. Elle demande la permission de se retirer un instant pour se remettre de son émotion ; mais, au lieu de s’enfermer dans sa chambre, elle s’élance hors de la maison, se jette dans une voiture de louage, et va chercher un refuge chez sa mère à