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scrutin a trompé son attente ; il a jugé que la caution qu’on lui offrait n’était pas bourgeoise, et qu’on venait de loger dans la forteresse du sénat une garnison suspecte d’entretenir des intelligences avec l’ennemi. L’événement ayant tourné contre lui, il a dû éprouver le besoin de réparer son échec et de noyer les inamovibles dans une majorité qui lui fût acquise. À cet effet, il fallait faire sentir au pays et aux 44,000 électeurs sénatoriaux toute l’action du gouvernement, et, pour avoir des coudées plus franches, il importait d’épurer le cabinet, d’en bannir l’hérésie politique dans la personne de M. le ministre des finances. Par malheur, comme on sait, M. le ministre de la justice témoigna aussitôt son irrévocable résolution de suivre son collègue dans sa retraite, et sa ferme attitude a déjoué un projet qui peut-être n’avait pas été assez mûrement étudié. Quelque successeur qu’on donnât à M. Léon Say, le cabinet de transaction devenait un cabinet départi, L’enseigne et la raison sociale de la maison étaient changées, et c’est sur leur enseigne que le public juge les maisons. On peut demander à M. le garde des sceaux beaucoup de concessions et de pénibles sacrifices ; mais il n’est pas homme à sacrifier son caractère.

Les conséquences que pouvait avoir la dislocation du cabinet ont effrayé et retenu M. Buffet. Par une habile manœuvre, il a su couvrir sa défaite des apparences d’une victoire. Il faisait un crime à M. Léon Say d’avoir recherché les suffrages des électeurs de Seine-et-Oise dans une compagnie mêlée, et d’avoir signé un manifeste qui n’était pas absolument conforme à la stricte orthodoxie. Quand M. le vice-président du conseil se fut assuré que la retraite de l’hérétique entraînerait de graves complications, il oublia subitement les griefs qu’il avait contre lui, et dans la séance du conseil qui suivit il ne dit pas un mot du département de Seine-et-Oise, ni de M. Feray, ni du manifeste où il avait relevé des propositions malsonnantes. À la surprise générale, il mit la conversation sur la politique, sur le péril social, sur l’union conservatrice, et c’est ainsi que le cabinet du 12 mars ne périra pas sans qu’on y ait un jour du moins causé politique.

Rien dans ce monde n’est plus gênant que les demi-vérités. On ne peut leur refuser son assentiment, car elles sont vraies ; mais elles ne le sont qu’à moitié, et partant elles ne sont point satisfaisantes, et voilà ce qui explique l’embarras qu’éprouvent quelques-uns des collègues de M. Buffet pour juger sa politique. Les gens qui l’accusent de bonapartisme le connaissent mal. Sa véritable pensée est que le bonapartisme n’est pas un danger. Il juge que le parti de l’appel au peuple se compose de quelques meneurs militans qu’il est facile de tenir en échec, et d’une foule de naïfs prêts à se rallier au gouvernement établi, pourvu qu’il ressemble un peu au gouvernement de leurs rêves. Ces naïfs sont bonapartistes par la seule raison qu’ils croient à l’avenir du parti. Ils