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réformes rédigé par M. le comte Andrassy finira par être accepté à Constantinople ; mais il craint, et ses craintes sont fondées, que pour étouffer l’insurrection de l’Herzégovine et de la Bosnie, la garantie des puissances ne doive se traduire par une intervention militaire. Les insurgés ne déposeront pas les armes ; ils savent qu’il est presque impossible au gouvernement ottoman de faire appliquer les réformes dans des provinces où la population musulmane balance en nombre la population chrétienne et lui est supérieure en richesse comme en influence. Il faudra donc intervenir par les armes. Cette intervention presque inévitable, qui s’en chargera ? « Supposer que l’Autriche-Hongrie et la Russie doivent intervenir d’accord, c’est admettre que la question d’Orient n’existe pas, et si l’Autriche-Hongrie intervient seule, c’est la Russie mécontente et lésée dans le droit qu’elle revendique de veiller sur le sort des Slaves chrétiens en Turquie. » Ce raisonnement est d’une incontestable justesse, il a même le caractère de l’évidence ; aussi nous paraît-il impossible que le cas plus que vraisemblable d’une intervention militaire n’ait pas été prévu dans les combinaisons des empereurs, et qu’on ne se soit pas mis d’accord au préalable sur les voies à prendre et les moyens à employer. Ce serait admettre qu’on manque à Saint-Pétersbourg de la prudence la plus vulgaire, qu’on y vit au jour la journée, ou qu’on y commet les plus impardonnables distractions. Après cela, il est difficile à un homme d’état de prévoir tous les contingens futurs et tous les accidens possibles, et laisser une part à l’imprévu, c’est laisser une part au danger.

Ce qui explique les inquiétudes du publiciste anonyme, c’est qu’il ne croit guère à la sincérité ni à la durée de l’alliance des trois empereurs. Comme bien d’autres, il y voit quelque chose de louche, il doute que tout le monde aille de franc jeu dans cette affaire, il attribue à l’un des alliés ou même à deux des vues suspectes et des arrière-pensées. Les sceptiques se sont demandé depuis longtemps si l’insurrection de l’Herzégovine avait été vraiment spontanée, si une main cachée n’avait pas préparé l’événement ; on a cherché dans cette explosion une intrigue, et dans cette intrigue des dessous mystérieux. Au printemps dernier, « on s’entretenait à Berlin, dans des cercles taxés alors de pessimisme, de la probabilité d’une insurrection dans les provinces turques voisines de l’Autriche… Cette circonstance peut réduire sensiblement la part de collaboration du hasard dans les événemens dont le bassin du bas Danube est le théâtre. Si les trois cours du nord avaient été d’accord dès l’origine sur la nécessité d’étouffer l’insurrection de l’Herzégovine, on comprend difficilement que cette tâche eût été au-dessus de leurs forces. Les insurgés au début n’ont vécu que de tolérance, d’espoir et de publicité. »

Ce n’est pas à la Russie qu’on est tenté de s’en prendre. Les senti-