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être l’irritation de la princesse. D’ailleurs l’idée que sa fille pourrait être éloignée d’Angleterre pendant plusieurs mois chaque année lui causait d’amères inquiétudes. Bien qu’elle n’eût pas pour sa fille une affection très vive, elle tenait beaucoup à ne pas être séparée d’elle. La princesse Charlotte était une sauvegarde pour la princesse de Galles. Et en faveur de quel gendre l’épouse insultée devait-elle se dessaisir d’une si précieuse défense ? En faveur d’un homme qui d’avance se déclarait contre elle et se montrait le serviteur obséquieux de son plus cruel ennemi.

À ces haines du foyer royal se joignaient les passions du parlement. Les chefs de l’opposition étaient hostiles à ce projet de mariage ; l’union de l’héritière du trône avec un prince que tant de liens attachaient aux monarchies absolutistes du continent leur semblait une manœuvre du parti tory. Les whigs les plus considérables, Lauderdale, Withbread, Tierney, Brougham, avaient de fréquentes relations avec la femme du régent, les occasions ne leur manquèrent pas pour encourager sa résistance et envenimer les soupçons de sa fille. On fit croire à la princesse Charlotte que le régent voulait avant toute chose l’éloigner de l’Angleterre et qu’il saurait bien ensuite l’empêcher d’y revenir. Imputations ridicules assurément ; quelle que fût pourtant la solidité de son droit, surtout dans un pays comme l’Angleterre, la jeune princesse se sentit menacée par des intrigues mystérieuses. Imaginez ce qui se passa dans cette tête si vive, si libre, dans cette âme qui n’avait connu aucune affection et reçu aucun principe ; une partie de l’éducation qui lui manquait lui fut soudainement révélée. Quoi ! le régent son père prétendait la déposséder du trône ! Jusque-là, rien ne la préparait à ces perspectives de la souveraineté ; l’attaque dont elle se crut l’objet transfigura tout son être. L’enfant devint une personne, une personne royale, et royalement résolut de se défendre.

Du mois de février au mois d’avril 1814, la princesse Charlotte traita directement avec le prince d’Orange la question des clauses du contrat, ne se fiant qu’à elle-même du soin d’assurer ses droits ; mais elle n’arrivait à rien : le prince faisait des promesses, les négociateurs du mariage n’en tenaient nul compte, le prince promettait que la princesse ne serait jamais obligée de rester en Hollande contre son gré, les négociateurs parlaient de son établissement en Hollande sans dire mot de son établissement en Angleterre. Enfin le 15 avril, décidée à obtenir satisfaction ou à rompre les engagemens déjà pris, elle s’adressa au régent. Sa lettre était précise et allait droit au fait ; la princesse demandait une explication formelle au sujet de la résidence. Quand on lui avait parlé de ce mariage, elle n’avait jamais soupçonné qu’elle pût habiter ailleurs que dans son pays. Elle espérait donc qu’une clause