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En dehors de toute hypothèse et de tout raisonnement fantaisiste, un fait se détachait pourtant avec évidence : c’est que le liquide contenu dans ces réservoirs était, au moins en partie, le produit d’une sécrétion. Que chez des espèces à cornets ventrus, largement ouverts, la pluie intervienne pour augmenter cette provision, c’est ce qu’on pourrait aisément admettre pour le sarracenia purpurea, dont les cornets rebondis s’étalent en rosette sur le sol, et pour les sarracenia flava, etc., dont les cornets longs et dressés ont leur opercule vertical à côté de leur orifice béant. Mais chez la curieuse espèce à cornets dressés, qui s’appelle variolaris (à cause des mouchetures de ces organes), l’appendice operculaire, toujours rabattu sur l’orifice, ferme l’accès à l’eau de la pluie : le liquide du réservoir n’a donc là qu’une origine interne et vitale. Aussi est-ce d’après cette espèce que des notions plus exactes sur la fonction des cornets ont commencé à se faire jour dans la science : notions bien confuses d’abord, et qui, même de nos jours renferment encore une large part d’incertitudes et d’inconnu.

C’est en 1791 que l’un des vénérables pionniers de la flore des États-Unis, John Bartram, décrivant le fluide du sarracenia variolaris, émit sous toutes réserves l’idée que ce fluide pourrait bien allécher perfidement les insectes par une saveur sucrée et finalement en dissoudre les cadavres au profit de l’alimentation de la plante. La part d’erreur dans cette hypothèse, c’est l’idée que le liquide servirait d’appât. On sait aujourd’hui que l’appareil de tentation par la gourmandise réside ailleurs dans des glandes spéciales. Quant au liquide lui-même, sécrété dans le bas du cornet par d’autres glandes, les observations récentes d’un botaniste américain, le docteur Mellichamp, ne laissent guère de doute sur le fait brut qu’il aurait sur les insectes vivans une action d’abord anesthésique (ou comme stupéfiante), puis sur leurs cadavres, aussi bien que sur la viande, une activité particulière provoquant une rapide décomposition putride. Des mouches jetée dans l’eau pure en échappent facilement parce que leurs ailes ne se mouillent que d’une manière très imparfaite : les mêmes insectes restent noyés dans la liqueur un peu mucilagineuse du sarracenia variolaris. Ils y deviennent comme morts après une demi-minute d’immersion, sauf à reprendre vie en une demi-heure ou une heure lorsqu’on les a soustraits à ce bain forcé d’un instant. Du fait qu’une altération putride suit rapidement l’action du liquide sur les matières azotées, le docteur Mellichamp conclut que ce fluide n’est pas vraiment digestif à la manière des sécrétions des droséracées. Le docteur Hooker, en rapportant cette opinion, l’accepte dans une certaine mesure, avouant l’ignorance absolue de la science sur la manière dont les