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Ce ne sont pas pourtant les inconvenances du prince et le désenchantement de la princesse qui causèrent, officiellement du moins, la rupture de l’union projetée. Quels que fussent les sentimens de la princesse, le dénoûment de l’aventure fut amené par des raisons d’un autre ordre. Un problème de casuistique royale, que les négociateurs du mariage avaient négligé de résoudre, se dressa tout à coup entre les parties contractantes. Si la princesse Charlotte avait besoin d’un prétexte pour se dédire sans trop blesser l’amour-propre du prince d’Orange, celui-là se trouva prêt tout à point. Quel était donc ce problème ? En deux mots le voici : la princesse Charlotte en 1814 était l’héritière présomptive de la couronne, son grand-père, le roi George III, atteint d’une maladie mentale, avait déjà laissé la régence au prince de Galles ; à la mort de George III, le régent deviendrait roi sous le nom de George IV, et la princesse Charlotte, sa fille, si Dieu lui prêtait vie, devait nécessairement lui succéder un jour. De son côté, le prince d’Orange était aussi l’héritier présomptif d’un trône ; il était le fils aîné du prince à qui la victoire des alliés sur Napoléon venait d’assurer le royaume des Pays-Bas. Or avait-on songé à toutes les complications qui résulteraient de ce mariage entre deux personnes destinées à deux trônes ? Et d’abord où serait la résidence du jeune couple ? Le prince d’Orange demeurerait-il en Angleterre ? La princesse Charlotte suivrait-elle son mari en Hollande ? Dans le cas où l’un des deux époux serait appelé au trône de son pays, quelle serait la situation de l’autre ? Dans le cas où tous les deux régneraient, comment leurs devoirs de souverains pourraient-ils se concilier ? Le silence du contrat sur tant de points importans présageait des difficultés inextricables ; il y avait là pour l’avenir toute une source de conflits.

L’excuse des négociateurs, c’est que la question de succession pour l’un et l’autre pays semblait fort éloignée : on n’avait pas cru devoir se préoccuper d’éventualités incertaines. N’y avait-il pas en effet bien des chances pour que l’état des choses fût modifié ? Le roi George III, quoique sa maladie l’eût obligé de déposer le fardeau des affaires publiques, n’était pas sous le coup d’une mort imminente. Le prince de Galles, devenu régent d’Angleterre depuis 1812, conserverait peut-être ce titre pendant une longue suite d’années. Il était dans la force de l’âge ; qui sait ce que lui réservait l’avenir ? La princesse de Galles pouvait mourir, le prince-régent pouvait divorcer ; devenu roi après la mort de son père, il saisirait sans doute la première occasion de faire casser son mariage afin d’en contracter un autre. Si un fils naissait de cette nouvelle union, tous les droits de la princesse Charlotte se trouvaient anéantis. À la bonne heure ! Ces excuses pourtant ne sont que des considérations atténuantes. Fallait-il donc s’en remettre ainsi au hasard ? Il était bien