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élémens. Ce dernier trait prouve que la digestion végétale répond simplement à celle de l’estomac des animaux, abstraction faite de l’action salivaire, qui se porte sur les matières féculentes, et de l’action de la bile et du suc pancréatique, affectée à la dissolution des matières grasses. Rien n’empêcherait du reste de considérer l’analogue de la digestion salivaire comme existant chez la plante dans la profondeur des tissus. Dès à présent, il est donc facile d’entrevoir que tous les phénomènes de nutrition, au lieu d’être soumis chez les plantes et les animaux à des règles plus ou moins antagonistes, présentent au contraire dans leur ensemble un parallélisme des plus prononcés. Le fait de la carnivorité végétale aura sans doute, par son étrangeté même, le privilège d’ouvrir des horizons tout nouveaux à l’étude comparative des deux sous-règnes organiques. On comprendra de mieux en mieux comment les manifestations extérieures de la vie, en apparence si opposées dans l’animal et la plante, reposent au fond sur la même base, celle des mouvemens moléculaires d’un très petit nombre d’élémens fondamentaux, dont pas un n’existe chez l’animal le plus élevé qui ne puisse se retrouver chez la plante la plus simple. Ceci ne veut pas dire que tout dans le monde se ramène aux modifications de la matière. La fatalité dans les mouvemens est l’essence même des lois naturelles, mais ces lois elles-mêmes en tant qu’harmoniques décèlent un plan, une pensée, dont le hasard est incapable et dont l’intelligence humaine est comme un lointain et pâle reflet. Si le déterminisme trace à la matière esclave sa marche fatale, il suffit à l’homme de sentir sa volonté pour concevoir au-dessus de la matière et de la force ce quid divinum qui représente l’intelligence et la liberté.

Un dernier acte est nécessaire à la plante carnivore pour utiliser les produits de sa digestion : il faut que ces produits, devenus liquides, pénètrent dans le tissu de la feuille et peut-être même, de proche en proche, de la plante entière. Cette absorption post-digestive, mal connue au fond, plutôt admise par raisonnement que mesurée par expérience, serait concentrée d’après Darwin sur les glandes des tentacules ; elle se décèlerait surtout par ce fait que les glandes en question, d’abord stimulées par la présence des substances nutritives à sécréter abondamment un suc acide, deviendraient au contraire peu sécrétantes à mesure que la digestion approcherait de sa fin et qu’on les trouverait presque sèches quand leurs pédicelles se redresseraient pour se remettre à l’affût d’une proie nouvelle. Les changemens de couleur survenus dans le protoplasme des glandes à la suite de la digestion seraient aussi des indices qu’une absorption s’est faite par les parois de leurs cel-