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phosphate d’ammoniaque, c’est la présence simultanée dans ce sel de l’azote et du phosphore, c’est-à-dire des deux substances les plus animalisées peut-être qui se rencontrent dans les végétaux. L’association de ces deux corps dans les graines, dans les bourgeons, dans les tissus jeunes des plantes, en démontre assez nettement la valeur comme élémens nutritifs. C’est donc une confirmation remarquable de ces propriétés si connues que de voir ces mêmes élémens, azote et phosphore, exciter vivement l’appétit des végétaux carnivores et provoquer avec tant d’énergie les phénomènes précurseurs ou directement actifs de la digestion.

Digestion serait un mot déplacé, si l’on prétendait l’appliquer au phosphate d’ammoniaque en tant que sel de nature inorganique ; mais le mot devient très juste dès qu’il s’applique aux substances organiques solides dont il nous reste à étudier le rôle comme alimens des plantes carnivores. Ce rôle, il est vrai, n’est pas absolument réglé par la présence de l’azote dans ces substances, car plusieurs produits manifestement azotés, tels que la pepsine, l’urée, la chlorophylle et autres, échappent à la digestion du drosera ; mais en groupant en deux séries les matières essayées, les digestibles d’un côté, les non digestibles de l’autre, on s’aperçoit aisément que les premières renferment toutes de l’azote, tandis que chez les secondes cet élément est souvent absent ou peut-être dans des combinaisons qui l’empêchent d’être absorbé.

En tête des substances essentiellement digestibles se placent, sans parler des insectes à tégumens mous, la chair musculaire et le blanc d’œuf coagulé. L’effet de ces substances est si marqué qu’on a pu les prendre pour appât dans les curieuses expériences destinées à démontrer la réalité de la digestion. La chair, dans ce cas, a dû être employée en petits fragmens, de plus gros pouvant causer à la feuille une sorte d’indigestion qui se traduit par une altération marquée de la vitalité des glandes. De petits cubes de blanc d’œuf, placés sur diverses régions de la feuille, ont d’abord provoqué l’abaissement des tentacules, puis augmenté l’abondance et déterminé l’acidité de la sécrétion visqueuse, enfin, sous l’influence de ce suc acide, ils se sont graduellement ramollis, ont perdu leurs arêtes vives, et ont pris dans la plus grande partie de leur masse une transparence caractéristique. La sécrétion acide du drosera dissout aussi le cartilage, l’os et jusqu’à l’émail des dents. Un des faits les plus curieux dans la marche de la digestion du blanc d’œuf, c’est que l’addition d’un alcali, du carbonate de soude par exemple, arrête le phénomène en neutralisant l’acide du suc digestif : qu’on ajoute alors un peu d’acide chlorhydrique dilué de manière à neutraliser la soude, la digestion reprend son cours, l’acide du suc digestif étant remis en liberté.