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singulière plante qu’il faudrait ouvrir la série des végétaux insectivores, si l’on s’en tenait à la rapidité des mouvemens, au jeu subit des valves du piège qui se rabat sur la victime ; mais, parmi les étrangetés de sa nature, la dionée présente celle d’être confinée dans un coin restreint de la Caroline, en dehors de l’observation quotidienne de la généralité des botanistes. Les rossolis au contraire, genre très cosmopolite, comptent, à côté d’espèces très localisées, des types répandus à profusion sur d’immenses aires géographiques. Partout, dans les tourbières, dans les bruyères humides de notre hémisphère boréal, ces élégantes plantules étalent ou redressent leurs rosettes de feuilles humides, grasses et rougeâtres. C’est sur la plus vulgaire de toutes, le rossolis à feuilles rondes (drosera rotundifolia, L.), qu’ont porté les recherches patientes de Darwin ; c’est sur cette espèce qu’il sera facile de suivre les phénomènes de motilité, de sécrétion en quelque sorte gastrique, d’absorption superficielle, de modifications dans le contenu des cellules, qui vont nous servir de critérium et de type pour l’étude complète des végétaux carnivores.

Le nom de rossolis, qui devrait s’écrire en deux mots, ros solis, signifie rosée du soleil, par allusion à ces gouttelettes transparentes qui, sous le soleil le plus ardent, brillent sur les drosères comme autant de perles de rosée au bout des poils de leurs feuilles[1]. Ces organes, chez le rossolis à feuilles rondes, présentent, au sommet d’un pétiole long et grêle, un limbe à peu près circulaire dont la face supérieure est toute couverte d’une forêt de poils visqueux. Darwin appelle ces poils des tentacules, sans doute par une vague allusion aux bras préhenseurs des hydres et d’autres animaux aquatiques. Ces tentacules se composent d’un pédicelle en forme d’alêne et d’une glande en tête d’épingle qu’enveloppe une gouttelette visqueuse. Ce sont à la fois des organes de sécrétion, d’absorption et de transmission de mouvement.

Peur peu qu’on observe dans la nature les feuilles de drosera, on s’aperçoit qu’un très grand nombre tiennent embrassés sous leurs tentacules infléchis de petits insectes, principalement des diptères, mouches ou moucherons à deux ailes transparentes. Un fait aussi fréquent dut frapper de bonne heure les naturalistes et même les simples curieux ; mais la vraie signification n’en fut que tardivement comprise. On supposait naturellement que les insectes ainsi captifs s’étaient tout simplement englués dans la viscosité des glandes, et que leurs vains efforts pour s’échapper avaient fait courber mécaniquement les tentacules de la feuille. Réduit à

  1. On regrette que Linné, par un purisme arbitraire de nomenclature, ait cru devoir changer ce nom poétique en celui de drosera (de drosos, rosée), qui ne dit rien de net à l’esprit.