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cependant, chose exquise en ces beaux momens, la manière de sentir très personnelle ? Eut-il des condisciples ? On ne le voit pas. Ses amis, on les ignore. Il naît, c’est tout au plus si l’on sait avec exactitude en quelle année. Il se révèle de bonne heure, à quatorze ans signe une eau-forte charmante ; à vingt-deux, ignorant sur bien des points, il est sur d’autres d’une maturité sans exemple. Il travaille et produit œuvres sur œuvres ; il en fait d’admirables. Il les accumule en quelques années avec hâte, avec abondance, comme si la mort le talonnait, et cependant avec une application et une patience qui fait que ce prodigieux travail est un miracle. Il se mariait, jeune pour un autre, bien tard pour lui, car c’était le 3 juillet 1650, et le 4 août 1654, quatre ans après, la mort le prenait ayant toute sa gloire, mais avant qu’il ne sût tout son métier. Quoi de plus simple, de plus court, de plus accompli ? Du génie et pas de leçons, de fortes études ; un produit ingénu et savant de vue attentive et de réflexion ; ajoutez à cela un grand charme naturel ; la douceur d’un esprit qui médite, l’application d’une conscience chargée de scrupules, la tristesse inséparable d’un labeur solitaire et peut-être la mélancolie propre aux êtres mal portans, et vous aurez à peu près tout Paul Potter.

À ce titre, le charme excepté, le Taureau de La Haye le représente à merveille. C’est une grande étude, trop grande au point de vue du bon sens, pas trop pour les recherches dont elle fut l’objet et pour l’enseignement qu’il en tira. Songez que Paul Potter, à le comparer à ses brillans contemporains, ignorait toutes les habiletés du métier : je ne parle pas des roueries dont sa candeur ne s’est jamais doutée. Il étudiait spécialement des formes et des aspects en leur absolue simplicité. Le moindre artifice était un embarras qui l’eût gêné parce qu’il eût altéré la claire vue des choses. Un grand taureau dans une vaste plaine, un grand ciel et pour ainsi dire pas d’horizon, quelle meilleure occasion pour un étudiant d’apprendre une fois pour toutes une foule de choses fort difficiles et de les savoir, comme on dit, par compas et par mesure ? Le mouvement est simple, il n’en fallait pas ; le geste est vrai, la tête admirablement vivante. La bête a son âge, son type, son caractère, son tempérament, sa longueur, sa hauteur, ses attaches, ses os, ses muscles, son poil rude ou lisse, bourru ou frisé, sa peau flottante ou tendue, — le tout à la perfection. La tête, l’œil, l’encolure, l’avant-train, sont, au point de vue de l’observation naïve et forte, un morceau très rare, peut-être bien sans pareil. Je ne dis pas que la matière soit belle, ni que la couleur en soit bien choisie ; matière et couleur sont ici subordonnées trop visiblement à des préoccupations de formes pour qu’on puisse exiger beaucoup sous ce rapport quand il a tout ou presque tout donné sous un autre. Il y a plus, le ton même et le