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étant donnée la simplicité du problème. Le reste est un hors-d’œuvre qu’on pourrait couper sans regret, au seul avantage du tableau. » Ce serait là de la critique brutale, mais exacte. Et cependant l’opinion, moins pointilleuse ou plus clairvoyante, dirait que la signature vaut bien le prix.

L’opinion ne s’égare jamais tout à fait. Par des chemins incertains, souvent pas les mieux choisis, elle arrive en définitive à l’expression d’un sentiment vrai. Quand elle se donne à quelqu’un, les motifs en vertu desquels elle se donne ne sont pas toujours les meilleurs, mais toujours il se trouve d’autres bonnes raisons en vertu desquelles elle a bien fait de se donner. Elle se méprend sur les titres, quelquefois elle prend les défauts pour les qualités ; elle prise un homme pour sa manière de faire, et c’est là le moindre de ses mérites ; elle croit qu’un peintre peint bien quand il peint mal et parce qu’il peint avec minutie. Ce qui émerveille en Paul Potter, c’est l’imitation des objets poussée jusqu’au travers. On ignore ou l’on ne remarque pas qu’en pareil cas l’âme du peintre vaut mieux que l’œuvre et que la manière de sentir est infiniment supérieure au résultat.

Quand il peignit le Taureau en 1647, Paul Potter n’avait pas vingt-trois ans. C’était un tout jeune homme ? d’après ce que le commun des hommes est à vingt-trois ans, c’était un enfant. A quelle école appartenait-il ? A aucune. Avait-il eu des maîtres ? On ne lui connaît d’autres professeurs que son père Pieter Simonsz Potter, peintre obscur, et Jacob de Weth (de Harlem), qui n’était pas de force lui non plus à agir sur un élève, soit en bien, soit en mal. Paul Potter ne trouva donc autour de son berceau, ensuite dans l’atelier de son second maître, que de naïfs conseils et pas de doctrines ; par extraordinaire, l’élève ne demandait pas davantage. Jusqu’en 1647, Paul Potter vécut entre Amsterdam et Harlem, c’est-à-dire entre Frans Hals et Rembrandt, dans le foyer d’art le plus actif, le plus remuant, le plus riche en maîtres célèbres que le monde ait jamais connu, sauf en Italie un siècle auparavant. Les professeurs ne manquaient pas ; il n’avait que l’embarras du choix. Wynants avait quarante-six ans, Cuyp quarante-deux ans, Terburg trente-neuf, Ostade trente-sept, Metzu trente-deux, Wouwerman vingt-sept, Berghem, à peu près de son âge, avait vingt-trois ans. Plusieurs même, parmi les plus jeunes, étaient membres de la confrérie de Saint-Luc. Enfin le plus grand de tous, le plus illustre, Rembrandt, avait déjà produit la Ronde de nuit, et c’était un maître qui pouvait tenter.

Que devint Paul Potter ? Comment s’isola-t-il au cœur de cette fourmillante et riche école, où l’habileté pratique était extrême, le talent universel, la manière de rendre un peu semblable, et