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l’imagination des peintres. Le musée de La Haye possède deux grandes pages fort belles et très sanglantes, où les coups portent dru, où les blessures ne sont pas ménagées. L’une, celle de Berghem, un très rare tableau, d’étonnante exécution, un tour de force par l’action, le tumulte, l’ordre admirable de l’effet et la perfection des détails, — une toile nullement historique, — porte pour titre : Attaque d’un convoi dans un défilé de montagnes. L’autre, un des plus vastes tableaux qu’ait signés Wouwerman, est intitulé Grande Bataille. Il rappelle le tableau de la Pinacothèque de Munich, connu sous le nom de la Bataille de Nördlingen ; mais rien de plus formel en tout ceci, et la valeur historiquement nationale de cette œuvre fort remarquable n’est pas mieux établie que la véracité du tableau de Berghem. Partout ailleurs ce sont des épisodes de brigandages ou des rencontres anonymes qui certainement ne manquaient pas chez eux, et que cependant ils ont tout l’air d’avoir peints de ouï-dire, pendant ou depuis leurs voyages dans les Apennins. L’histoire hollandaise n’a donc marqué pour rien, ou si peu que ce n’est rien, dans la peinture de ces temps troublés, et ne paraît pas avoir agité une seule minute l’esprit des peintres.

Notez en outre que, dans leur peinture proprement pittoresque et anecdotique, on n’aperçoit pas non plus la moindre anecdote. Aucun sujet bien déterminé, pas une action qui exige une composition réfléchie, expressive, particulièrement significative ; nulle invention, aucune scène qui tranche sur l’uniformité de cette existence des champs ou de la ville, plate, vulgaire, dénuée de recherches, de passions, on pourrait dire de sentiment. Boire, fumer, danser et caresser des servantes, ce n’est pas là ce qu’on peut appeler un incident bien rare ou bien attachant. Traire des vaches, les mener boire, charger un chariot de foin, ce n’est pas non plus un accident notable dans la vie agricole. On est toujours tenté de questionner ces peintres insoucians et flegmatiques, et de leur dire : Il n’y a donc rien de nouveau ? rien dans vos étables, rien dans vos fermes, rien dans vos maisons ? Il a fait grand vent, le vent n’a donc rien détruit ? La foudre a grondé, la foudre n’a donc frappé ni vos champs ni vos bêtes, ni vos toitures ni vos travailleurs ? Les enfans naissent, il n’y a donc pas de fêtes ? Ils meurent, il n’y a donc pas de deuil ? Vous vous mariez, il n’y a donc pas de joies décentes ? On ne pleure donc jamais chez vous ? Vous avez tous été amoureux, comment le sait-on ? Vous avez pâti, vous avez compati aux misères des autres ; vous avez eu sous les yeux toutes les plaies, toutes les peines, toutes les calamités de la vie humaine, où découvre-t-on que vous ayez eu un jour de tendresse, de chagrins, de vraie pitié ? Votre temps, comme tous les autres, a vu des querelles, des passions, des tromperies, des jalousies, des fraudes galantes, des