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mérites. Et si l’on doutait de la science et du génie de Ruysdael et de Van der Neer, on n’aurait qu’à chercher dans le monde entier un peintre qui peigne un ciel comme eux, dise autant de choses et les dise aussi bien. Partout c’est le même dessin, serré, concis, précis, naturel, naïf, qui semble le fruit d’observations journalières, qui, je l’ai fait entendre, est savant et n’est pas su. Un mot peut résumer le charme particulier de cette science ingénue, de cette expérience sans pose, le mérite ordinaire et le vrai style de ces bons esprits : on en voit de plus ou moins forts ; on n’y remarque pas un seul pédant.

Quant à leur palette, elle vaut leur dessin ; elle ne vaut ni plus, ni moins, et c’est de là que résulte la parfaite unité de leur méthode. Tous les peintres hollandais peignent de même et personne n’a peint et ne peint comme eux. Si l’on regarde bien un Téniers, un Breughel, un Paul Bril, on verra, malgré certaines analogies de caractère et des visées presque semblables, que ni Paul Bril, ni Breughel, ni même Téniers, le plus Hollandais des Flamands, n’ont l’éducation hollandaise.

Toute peinture hollandaise est reconnaissable extérieurement à quelques signes très particuliers. Elle est de petit format, de couleur puissante et sobre, d’effet concentré, en quelque sorte concentrique. C’est une peinture qui se fait avec application, avec ordre, qui dénote une main posée, le travail assis, qui suppose un parfait recueillement et qui l’inspire à ceux qui l’étudient. L’esprit s’est replié pour la concevoir, l’esprit se replie pour la comprendre. Il y a comme une action facile à suivre des objets extérieurs sur l’œil du peintre et de son œil sur son cerveau. Aucune peinture ne donne une idée plus nette de cette triple et silencieuse opération : sentir, réfléchir et exprimer. Aucune également n’est plus condensée, parce qu’aucune ne renferme plus de choses en aussi peu d’espace et n’est obligée de dire autant en un si petit cadre. Tout y prend par cela même une forme plus précise, plus concise, une densité plus grande. La couleur y est plus forte, le dessin plus intime, l’effet plus central, l’intérêt mieux circonscrit. Jamais un tableau ne s’étale, ne risque soit de se confondre avec le cadre, soit de s’en échapper ; il faut avoir l’ignorance ou la parfaite ingénuité de Paul Potter pour prendre si peu de soin de cette organisation du tableau par l’effet qui paraît être une loi fondamentale dans l’art de son pays. Toute peinture hollandaise est concave ; je veux dire qu’elle se compose de courbes décrites autour d’un point déterminé par l’intérêt, d’ombres circulaires autour d’une lumière dominante. Cela se dessine, se colore, s’éclaire en orbe avec une base forte, un plafond fuyant et des coins arrondis, convergeant au centre ; d’où il suit qu’elle est profonde et qu’il y a loin de l’œil aux objets qui y sont reproduits. Nulle