Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/616

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rêver. Il y a les jours sombres et les soleils gais, les mers plates et brillantes, orageuses et noires ; il y a les pâturages avec les fermes, les côtes avec leurs navires, et presque toujours le mouvement visible de l’air au-dessus des espaces, toujours les grandes brises du Zuiderzée qui amoncellent les nuées, couchent les arbres, font courir les ombres et les lumières, tourner les moulins. Ajoutez-y les villes et l’extérieur des villes, l’existence dans la maison et hors de la maison, les kermesses, les mœurs crapuleuses, les bonnes mœurs et les élégances, les détresses de la vie des pauvres, les horreurs de l’hiver, le désœuvrement des tavernes avec le tabac, les pots de bière et les servantes folâtres, les métiers et les lieux suspects à tous les étages, — et d’un autre côté la sécurité dans le ménage, les bienfaits du travail, l’abondance dans les champs fertiles, la douceur de vivre en plein ciel après les affaires, les cavalcades, les siestes, les chasses. Ajoutez enfin la vie publique, les cérémonies civiques, les banquets civiques, et vous aurez les élémens d’un art tout neuf avec des sujets aussi vieux que le monde.

De là la plus harmonieuse unité dans l’esprit de l’école et la plus étonnante diversité qui se soit encore produite dans un même esprit. L’école en son ensemble est dite de genre. Décomposez-la, vous y trouverez les peintres de conversations, de paysages, d’animaux, de marines, de tableaux officiels, de nature morte, de fleurs, et, dans chaque catégorie, presque autant de sous-genres-que de tempéramens, — depuis les pittoresques jusqu’aux idéologues, depuis les copistes jusqu’aux arrangeurs, depuis les voyageurs jusqu’aux sédentaires, depuis les humoristes que la comédie humaine amuse et captive jusqu’à ceux qui la fuient, depuis Brouwer et Ostade jusqu’à Ruysdael, depuis l’impassible Paul Potter jusqu’au turbulent et gouailleur Jean Steen, depuis le spirituel et gai Van de Velde jusqu’au morose et grand songeur qui, sans vivre à l’écart, n’eut de commerce avec aucun d’eux, qui n’en répéta aucun et les résuma tous, qui eut l’air de peindre son époque, son pays, ses amis, lui-même, et qui ne peignit au fond qu’un des coins ignorés de l’âme humaine : je veux, bien entendu, parler de Rembrandt.

Tel point de vue, tel style, et tel style, telle méthode. Si l’on écarte Rembrandt, qui fait exception chez lui comme ailleurs, en son temps comme dans tous les temps, vous n’apercevez qu’un style et qu’une méthode dans les ateliers de la Hollande, le but est d’imiter ce qui est, de faire aimer ce qu’on imite, d’exprimer nettement des sensations simples, vives et justes. Le style aura donc la simplicité et la clarté du principe. Il a pour loi d’être sincère, pour obligation d’être véridique. Sa condition première est d’être familier, naturel et physionomique ; il résulte d’un ensemble de qualités morales : la naïveté, la volonté patiente, la droiture. On dirait des