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« Oui, hurle à sa suite ! que tes orateurs se fouettent l’imagination pour trouver de quoi repaître son orgueil. — Ce n’est pas ainsi que sur la liberté implorée en vain éclatait l’âme indignée de ton Grattan !

« À jamais glorieux Grattan ! le meilleur parmi les bons ! Si simple de cœur, si sublime dans tout le reste ! Doué de tout ce qui manquait à Démosthène, son rival ou son vainqueur en tout ce qu’il possédait ! ..

« Servez, servez pour Vitellius le banquet royal jusqu’à ce que le despote glouton s’étouffe et que les hurlemens de ses courtisans ivres le proclament le quatrième des imbéciles et des oppresseurs du nom de George.

« Que les tables gémissent sous le poids des mets, qu’elles gémissent, Erin, comme a gémi ton peuple pendant des siècles de malheur ! Que le vin coule en ruisseaux autour du trône de ce vieux suppôt de Bacchus, comme ton sang, Erin, a coulé, comme il coulera encore ! »


L’invective continue longtemps de la sorte, terrible, implacable, contre le roi George IV et contre le peuple d’Irlande. Ce n’est pas le peuple d’Irlande qui nous occupe en ce moment ; nous n’avons pas à expliquer ses illusions confiantes si tôt remplacées par des accès de rage ; la seule chose qui nous intéresse en ce dramatique épisode, c’est la colère du poète contre George IV, écho de ces clameurs que nous venons d’entendre, écho douloureux et sinistre qui se prolonge à travers l’océan, tandis qu’une frégate emporte au champ du repos les cendres insultées de la fille de Brunswick.

Maintenant, cette fille de Brunswick, est-il nécessaire de la juger ? Après de telles accusations et de telles défenses, après ces mouvemens de l’opinion si passionnés en sens contraires, est-il besoin de prononcer le verdict de l’histoire ? Si le récit qu’on vient de lire a rendu fidèlement notre pensée, le jugement qui s’en dégage ne saurait présenter aucun doute. Il est évident tout d’abord que la sympathie accordée à la reine Caroline a été en toute circonstance, et particulièrement en 1820, une protestation contre les indignités de George IV[1]. De cette façon de voir les choses à un acquittement sans ; réserve, il y a loin. Lord Holland, dans ses Mémoires du parti whig, l’appelle « une femme étrange, une triste héroïne bien peu digne d’intérêt. » Il lui reconnaît des

  1. Nous avons parlé plus d’une fois du mépris publié attaché à la personne de George IV ; il est bon de rappeler ici que les esprits les plus graves partageaient ce sentiment. Le duc de Wellington, qui fut premier ministre sous George IV, le jugeait comme la nation tout entière. Dans une belle étude publiée ici même sur la vie politique de sir Robert Peel, M. Guizot a dit : « George IV détestait le duc de Wellington, comme on déteste un homme de qui on se sent méprisé et avec qui on est forcé de compter. »