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chargée qui remonte la Tamise aux heures du reflux, le cortège avançait toujours, mais lorsqu’il avait écarté les bandes de cavaliers, il rencontrait des piétons entassés en masses profondes. De toutes parts éclataient des vociférations effroyables. Les soldats étaient insultés. Plus d’une fois il fallut repousser la force par la force. Parvenu aux limites occidentales de Westminster, le cortège allait prendre la rue qui longe au nord cette partie de la ville, quand les clameurs redoublèrent. Des pierres furent jetées aux dragons, qui firent feu ; plusieurs personnes furent tuées ou blessées. Un peu plus loin, dans un carrefour, la foule exaspérée, débouchant par quatre issues, se précipita sur les troupes avec une telle violence qu’elle les mit hors de combat. Le cortège, que ne protégeaient plus les soldats dispersés, fut entraîné dans la rue d’Oxford et de là dans le Strand. La populace était maîtresse. De rue en rue, les hérauts de l’émeute s’élançaient en criant : La reine arrive, la reine assassinée ! Les plus forcenés parlaient de conduire le corbillard devant le palais de Carlton-house, résidence habituelle du roi. Cependant, grâce à l’énergie pacifique des constables, le cortège put continuer sa route. On suivit le Strand jusqu’aux portes de la cité, où la présence du lord-maire à cheval établit un peu de calme. Conformément aux privilèges de la cité, ce magistrat interdit l’entrée aux troupes : il ne laissa pénétrer qu’une compagnie de dragons dont on avait remarqué la modération au milieu de ces provocations sauvages. Enfin, arrivé aux limites de la Cité après une marche et une lutte qui n’avaient pas duré moins de huit heures, le catafalque s’achemina paisiblement vers Colchester, où le corps fut déposé dans l’église pour y rester jusqu’au lendemain matin, sous la surveillance d’un détachement de la garde.

Vers le milieu de la nuit, les exécuteurs testamentaires de la reine, avec quelques personnes dévouées à sa mémoire, pénétrèrent secrètement dans l’église et firent clouer sur le cercueil une plaque portant ces mots, d’après les instructions du codicille : ci-git Caroline de Brunswick, reine outragée d’Angleterre. Quelques heures après, le ministère ayant été prévenu par la police, un officier du gouvernement se présenta, fit déclouer la plaque et y substitua une inscription qui mentionnait simplement son titre : Caroline de Brunswick, reine d’Angleterre. Le lendemain 15 août, le cortège se remit en marche au point du jour et atteignit Harwich, où une frégate l’attendait. Le cercueil y fut embarqué avec tous les honneurs militaires et le navire mit à la voile. Cinq jours après, le 20 août, il abordait à Stade, sur les côtes de Hanovre.

Telles furent les funérailles de la reine Caroline. C’est au milieu des clameurs, des violences, des coups de feu, que la malheureuse créature fut conduite à sa dernière demeure, tandis que son