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portes, la reine se mettait dans son tort. Jusque-là elle n’avait fait que se défendre ; c’est d’elle cette fois que venait l’agression. Des huées et des sifflets éclatèrent. On entendit bien quelques voix crier : Vive la reine ! la reine pour toujours ! mais ce n’était plus une clameur unanime comme aux jours du procès, il était trop évident que la sympathie publique s’était retirée. Caroline de Brunswick n’était plus soutenue que par une populace infime, le peuple de Londres l’abandonnait. Dans ce désordre, dans ce tumulte, parmi les protestations et les injures, un gentleman (lord Eldon affirme le fait) eut l’indignité de lui crier : Va retrouver Bergami ! C’est l’expression brutale du revirement d’opinion qui s’était déclaré peu à peu depuis l’abandon du bill. Quand la malheureuse remonta dans sa voiture, elle pleurait à chaudes larmes.

Comprenez-vous maintenant ce que voulait dire le vieux chef tory, lord Eldon, quand il écrivait à sa fille le 20 juillet 1821 : « Tout est fini, tout est sauvé ? » Après cette triste scène du matin, la journée s’était passée sans encombre. Le couronnement du roi avait eu lieu selon le cérémonial accoutumé. Même, sans parler des illuminations officielles, plusieurs des quartiers aristocratiques avaient éclairé çà et là leurs fenêtres, et il n’y eut en somme qu’un petit nombre de vitres cassées. Lord Eldon en prend assez gaîment son parti : « on a brisé, dit-il, les fenêtres de Castlereagh, de Montrose, de quelques autres encore, au moment où les illuminations se préparaient : » Puis il ajoute : « Nous avions une très belle illumination. John Bull nous a épargnés. Sa famille a même été fort polie à mon égard pendant que ma voiture se rendait à l’abbaye. L’affaire s’est terminée d’une façon que personne ne pouvait espérer. Le matin, chacun s’était rendu à la cérémonie sous une impression de crainte et d’angoisses. » En effet, quelques fenêtres brisées dans le West-End, qu’est-ce que cela quand on avait redouté une bataille dans les rues ? Tandis que plusieurs bandes facilement dissipées insultaient l’hôtel, de lord Castlereagh, la foule se portait aux feux d’artifice et aux spectacles gratis. Lord Eldon avait raison de résumer ainsi cette journée inquiétante : Tout est fini, tout est sauvé !

Pendant ce temps, la reine, accablée d’humiliations et de honte, était obligée de se dire à elle-même : tout est fini ! tout est perdu ! Elle essaya pourtant de se montrer encore au pays, tant il y avait d’énergie et de ténacité dans cette singulière nature. Le roi se disposait à faire un voyage en Irlande pour faire entrevoir un avenir meilleur à cette race opprimée ; la reine, dans l’espoir de ramener à elle les sympathies publiques, eut l’idée de partir pour l’Ecosse. L’Ecosse était la patrie de son éloquent avocat, l’Ecosse était fière d’Henry Brougham, c’était d’Ecosse que lui étaient venues les plus chaleureuses adresses ; elle espérait y prendre sa revanche de