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elle parle, telle est l’alternative. Dans l’un et l’autre cas, que vaut son témoignage ?

Ce qu’a fait cette malheureuse, tous les autres l’ont fait de même : ils mentent. Ils mentent pour de l’argent, ils mentent pour jouer le rôle qu’on leur a enseigné ; troupe de comédiens aux gages de la haine. C’est précisément cette hideuse conspiration qui fournit à Brougham ses argumens les plus forts. Si l’on ne voyait pas à travers tous ces masques la figure détestée de George IV, on penserait davantage aux imprudences et aux folies de la reine. Heureusement pour elle, la fureur atroce qui la poursuit depuis vingt-cinq ans ne permet pas à son égard une impartialité absolue. Devant ces accusations abominables, on oublie les reproches mérités. Quoi ! les agens de George IV prétendent en faire une Messaline ! Quoi ! ils lui imputent des crimes contre nature ! Quoi ! ces turpitudes, dont les jacobins ont voulu souiller l’auguste figure de Marie-Antoinette, c’est le roi qui essaie d’en salir la reine ! représentez-vous l’effet de ces véhémentes paroles adressées par un orateur whig à une assemblée anglaise. Du haut en bas de la société britannique, il n’y a qu’un sentiment d’horreur contre le jacobinisme, et quels sont ici les hommes qui rappellent les violences de 93 ? Où sont les jacobins qui dégradent à plaisir la majesté royale ? Sur le trône, autour du trône. L’opinion publique indignée prêtait ici à Brougham une assistance victorieuse. Les fautes de la reine disparaissaient à tous les yeux quand on la voyait ainsi traînée dans la fange. Cependant la chambre des lords ne juge pas comme l’opinion ; il peut rester encore bien des doutes ; ne résulte-t-il pas de la discussion même de Brougham que la reine s’est compromise par des accointances indignes ? C’est alors que Brougham, en terminant, évoque la vie passée de la princesse de Galles.


« Si la reine avait fréquenté des compagnies au-dessous de son rang, si elle avait abaissé sa dignité, si elle s’était laissé entraîner à des actes qui, sans être coupables, pourraient être blâmés comme inconvenans, comme incompatibles avec sa haute situation, si l’on avait prouvé enfin qu’elle est coupable de quelque indignité de ce genre, des raisons impérieuses m’auraient fait garder le silence sur ce point. Il n’en est rien, je n’ai aucun motif de me taire. Je dis : il n’y a ici aucun crime, il n’y a aucune légèreté, il n’y a aucune indignité. Supposez pourtant qu’il y en ait eu, supposez qu’en mettant ses accusateurs au défi de prouver les crimes qu’on lui impute, j’eusse admis chez elle des légèretés et même des choses contraires au décorum, je n’en aurais pas moins fait appel à ce qui est toujours la sauvegarde de la vertu en péril, j’en aurais appelé à sa vie passée, quand elle demeurait dans ce pays, au milieu de ses relations personnelles, quand elle n’avait pas