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vie, et de la façon la plus familière, à la vie de ces vertueuses et illustres personnes. Elle daignait rechercher votre société, et aussi longtemps que cela put convenir à certains projets (non pas des projets qui vinssent d’elle), — aussi longtemps que cela put aider à de certaines vues (non pas à des vues qui lui fussent propres), — aussi longtemps que cela put servir certains intérêts (non pas des intérêts où elle eût rien à voir), elle ne rechercha point votre société en vain ; mais quand la situation changea, quand il fallut retenir ce pouvoir qu’on avait saisi en se servant d’elle comme d’un instrument, quand les affamés de pouvoir et de places voulurent prolonger leur jouissance, cette jouissance à laquelle, pour condition première, la princesse dut être sacrifiée en victime, alors les portes de son palais, toujours accessibles, le furent inutilement, alors la société des pairesses d’Angleterre se retira d’elle, alors elle fut réduite à cette alternative, très humiliante en vérité, — ou bien de reconnaître que vous l’abandonniez, et de chercher parmi vous ceux qui, en continuant de la voir, lui feraient une faveur accordée de mauvaise grâce, — ou bien de quitter ce pays et de chercher au loin une compagnie inférieure à la vôtre. »


Est-il besoin de faire remarquer avec quelle précision ces traits sanglans atteignaient en plein visage lord Eldon, lord Liverpool, lord Castlereagh, tous les chefs du gouvernement tory ?

Les torts de la reine une fois expliqués de la sorte et placés hors de cause, l’orateur arrive au fond même de l’accusation. Il ne s’agit plus de l’observation des convenances, il s’agit de l’adultère de Caroline de Brunswick, princesse de Galles, femme du prince-régent d’Angleterre, accusée d’avoir pris pour amant un postillon italien. Qui dit cela ? Un autre postillon de la reine et l’une de ses femmes de chambre. Écoutons, dit Brougham, et jugeons. Ce que racontent ces gens-là offre d’étranges caractères. Quelle violence de haine et quelle richesse de détails ! Ce n’est point le ton de la vérité. Si la reine a fait ce dont on l’accuse à Naples, elle a dû chercher l’ombre, comme Tibère à Caprée. Quoi ! c’est au grand jour qu’elle étale sa honte ! c’est à la face du monde qu’elle mène la vie d’une prostituée ! Et personne n’en sait rien ! et ces infamies ne sont révélées que bien des années plus tard à la commission de Milan ! Et les personnes les plus respectables, lady Charlotte Lindsay, lord et lady Glenbervie, Mme Falconet, d’autres encore continuent à la voir avec les marques du plus profond respect ! — Brougham prend alors l’un après l’autre tous ces témoignages, il en montre les non-sens, les contradictions, les mensonges, les effronteries abominables. Parmi ceux qui ont déposé, il y a des hommes d’imagination vive ou de crédulité sotte, il y a ceux qui sont vains et légers, il y a les ignorans et les stupides. D’où vient que la