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Ainsi fut démolie la plus redoutable batterie de l’accusation ; suivant l’expression de Brougham lui-même, Majocchi était détruit.

Une autre déposition bien menaçante était celle de Mlle Demont, une des femmes de chambre de la reine. L’un des assesseurs de Brougham, M. Justice Williams, se chargea de la détruire à son tour. Il y réussit admirablement ; c’est le témoignage que lui rend Brougham dans une de ses belles études sur les hommes d’état de son temps. « Il serait malaisé, dit-il, d’évaluer l’immense effet que produisit cette discussion de M. Williams et sur la chambre des lords et sur la nation tout entière. » Mlle Demont et Teodoro Majocchi, c’étaient les deux engins de guerre sur lesquels l’accusation comptait le plus. Ces deux maîtresses pièces mises hors de combat, les autres furent aisément balayées. Voyez comparaître et les Sacchi, et les Tastelli, et les Guggiari, et ce Pietro Cucchi dont l’orateur a trouvé le portrait parmi les damnés d’Alighieri ; que reste-t-il de leurs dépositions après que Brougham les a fait passer au crible de sa dialectique ?

Dans cette lutte, qui se prolongea du 17 août au 5 septembre 1820, soit que le principe du bill fût attaqué par Brougham, soit que les témoins fussent attaqués à fond, il y eut de part et d’autre une ardeur acharnée, et en mainte occasion des merveilles d’éloquence. Le procureur-général du roi, M. Gifford, n’avait pas, il est vrai, la forte éducation littéraire qui assurait la supériorité de Brougham ; bien que le sentiment de cette faiblesse le rendît parfois timide, c’était un légiste délié, retors, et à ce titre singulièrement redoutable. Quant à l’avocat-général[1], M. Copley, il avait complété son savoir judiciaire par des études de toute sorte, il avait voyagé, il connaissait le monde, il était en outre hardi et batailleur[2] ; on le vit en plus d’une séance soutenir l’accusation avec tant de force qu’il semblait que la reine ne s’en relèverait pas. Entre de pareils adversaires, le combat donnait lieu aux plus dramatiques incidens. L’imposant aspect de la chambre des lords, et au dehors du palais ces auditoires immenses, l’Angleterre si directement intéressée, si violemment passionnée, l’Europe entière curieuse, attentive, émue, stupéfaite, tout enfin concourait à enflammer l’ardeur des combattans. Sous les formes graves de la parole anglaise, on sentait les fureurs d’un duel à mort ; point de trêve, point de merci. Un coup avait frappé la reine, la riposte allait frapper le roi. Le grand art de Brougham était de mettre George IV en cause sans qu’on pût lui retirer la parole, de dire tout ce qu’il voulait dire sans donner prise au lord-chancelier. Allusions, insinuations, toutes les ruses du

  1. Avocat-général ou procureur-général-adjoint ; le titre de solicitor general se traduit de ces deux manières.
  2. Bold and pugnacions, nous dit lord Campbell.