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ne déplaira pas à ces hauts commissaires derrière lesquels apparaît le souverain d’une grande nation, on sait aussi qu’ils sont venus les mains pleines. Bref, le dossier s’enfle, et les témoins arrivent toujours. Mensonges et vérités, tout est bien qui peut frapper à mort ; on prend tout, on ramasse tout. Le monstrueux engin va être chargé jusqu’à la gueule ; embusqué dans une demi-ombre, il restera là, menaçant et sinistre, en attendant qu’il soit démonté pièce à pièce par les mains vigoureuses d’Henry Brougham.

Le rapport de la commission de Milan, achevé au mois de juillet 1819, est immédiatement communiqué par le régent au conseil des ministres. Impatient de se servir de cette arme, le régent demande au cabinet de procéder sans retard à la mise en accusation de la princesse. Le cabinet hésite ; il y a tant de raisons pour étouffer une pareille affaire : raisons politiques, raisons morales, sans parler des motifs personnels qui doivent couvrir de confusion quelques-uns des conseillers de la couronne. Est-ce que lord Eldon, le gardien du grand sceau, est-ce que lord Liverpool, le premier ministre, n’ont pas été autrefois les confidens et les défenseurs de la princesse de Galles ? Cependant le régent insiste, il s’étonne des objections, il s’échauffe, il s’emporte, jusqu’à menacer de prendre les mesures les plus graves si on refuse de lui donner satisfaction : il changera de ministres ! Cela est facile à dire, mais en de telles circonstances le changement de ministère est impossible. S’il entend laisser le pouvoir aux tories, quels seront les hommes qui oseront prendre la place de lord Liverpool, de lord Eldon, de lord Castlereagh, de lord Wellington, pour accomplir un acte devant lequel leurs chefs auront reculé ? Ils seraient perdus dès le premier jour. Faudra-t-il donc recourir aux whigs ? Il n’est pas même permis d’y penser une minute. Ce sont les whigs qui protègent la princesse, c’est le chef des whigs à la chambre des communes, l’éloquent, le véhément Brougham, qui est chargé de ses intérêts. Eh bien ! s’il ne trouve pas de ministres qui veuillent contre-signer ses ordonnances, il quittera l’Angleterre et se retirera dans ses états du Hanovre. Vaines paroles l Le prince-régent se serait bien gardé de donner suite à une idée qui eût semblé une sorte d’abdication ; l’Angleterre aurait pu s’empresser de le prendre au mot. Peu à peu sa colère s’apaisa, il finit par s’accorder avec les ministres, qui promirent que le procès aurait lieu, si jamais la princesse osait remettre le pied sur le sol britannique. »

Assurément la princesse de Galles n’a point connu ces discussions du conseil ; informée de ce défi, elle l’aurait relevé sur l’heure. Ce fut une autre circonstance qui provoqua la crise. Le vieux roi, qui occupait le trône depuis soixante ans, mourut le 29 janvier 1820.