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Quant à la mère, elle ne parut point en avoir plus de souci. Plus tard seulement elle comprendra qu’elle peut tirer parti de sa fille et s’en faire une arme contre un mari détesté. Alors on la verra s’occuper de son avenir, réclamer pour elle certains droits, montrer enfin, à défaut de sollicitude morale, une vigilance intéressée. Cette fille, à peu près abandonnée de tous et dont l’éducation se fait à l’aventure, n’est-ce pas, après tout, l’héritière présomptive de l’un des premiers trônes du monde ? L’enfant avait à peine deux mois quand la princesse de Galles, définitivement et d’un commun accord séparée de son mari, quitta sa résidence de Carlton-house pour s’installer dans une villa de Blackheath (avril 1796). Elle y demeura huit ans, de 1796 à 1804. Elle était admise à la cour dans les fêtes officielles, mais de façon à ne jamais y rencontrer le prince, et n’avait presque point de relations avec les autres membres de la famille royale. Ce qu’était à la villa de Blackheath la conduite de la princesse de Galles, on peut le deviner par un fait significatif : au mois d’octobre 1804, M. Pitt, chef du ministère, et lord Westmoreland, chancelier privé, durent se rendre à Blackheath pour adresser à la princesse les plus sévères remontrances. Elle les reçut avec une parfaite indifférence, opposant aux paroles les plus pressantes une impassibilité glaciale. À la fin pourtant, touchée sans doute de graves considérations relatives à son intérêt, elle promit de s’amender. C’est à cette occasion que le prince de Galles réclama sa fille, âgée alors de huit ans, et voulut se charger lui-même de son éducation. Le roi n’accueillit point cette demande. Sans estimer beaucoup sa nièce, il croyait pourtant lui devoir certains égards, tandis qu’il n’avait pour son fils ni estime ni affection. La princesse de Galles, malgré les réclamations du prince, resta donc chargée de la tutelle de la princesse Charlotte.

Deux ans plus tard éclata un scandale inouï. Le prince de Galles fut averti par deux de ses frères, le duc de Kent et le duc de Sussex, que les faits les plus graves étaient reprochés à la princesse. C’était vraiment une question d’état. Deux personnes de distinction, sir John. Douglas et sa femme, ayant habité à Blackheath dans le voisinage de la princesse, avaient été reçues chez elle assez intimement pour découvrir des choses qui intéressaient la succession au trône. La princesse, disait lady Douglas, serait devenue enceinte par suite d’un commerce illicite, et vers la fin de 1802 aurait donné le jour clandestinement à un enfant du sexe masculin qui grandissait auprès d’elle à Blackheath. Si le fait était reconnu exact, le prince était tenu de le déclarer aux ministres, et les ministres étaient tenus de le porter à la connaissance du parlement. Avant d’en venir là, le roi voulut qu’une information eût lieu par les soins des plus hauts personnages de l’état. Lord Grenville,