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d’état ; il lui manquait pour cela l’habileté, la souplesse et l’art de savoir tout soumettre à cette suprême raison d’état qu’on ne peut désigner que par un mot anglais, puisque les Anglais seuls la connaissent, l’expediency.

Tant que Grundtvig siégea personnellement au parlement, — jusqu’en 1859, — les « amis des paysans » ne formaient qu’un parti embryonnaire. Plus tard, quand ils devinrent puissans, — depuis 1870 surtout, — ils tentèrent d’attirer à eux les députés grundtvigiens qui suivaient la ligne de conduite tracée par le maître et représentaient sa politique ; mais les bondevenner ne se piquaient pas d’une orthodoxie bien rigoureuse, loin de là, on les avait toujours représentés comme de grossiers matérialistes, et en matière de patriotisme ils avaient donné maintes preuves d’indifférence. D’un autre côté, on accusait les libéraux modérés de ne pas vouloir la vraie liberté : on leur reprochait leur esprit bourgeois et timide, leur peu de goût pour le « populaire » et peut-être aussi leur froideur à l’adresse de a l’incomparable découverte. » Entre les deux extrêmes, les grundtvigiens hésitèrent quelque temps ; cependant le jour vint où il fallut se prononcer. L’ambition, qui est une mauvaise conseillère, les poussa dans les bras du parti radical. Tandis qu’un petit nombre seulement, comme M. Termansen, dévoués de cœur aux doctrines du maître, restaient fidèles à leur passé et à leurs principes, la presque totalité alla grossir les rangs des amis des paysans, les puissans du jour. Grundtvig, alors vieux et affaibli, ne se prononça pas ouvertement sur la conduite de ses disciples. Pourtant il avait aperçu les dangereux symptômes de dislocation qui se manifestaient dans son parti. « La hache est au pied de l’arbre, » avait-il dit dans un de ses derniers sermons. Aujourd’hui elle a pénétré jusqu’au cœur du tronc. — On sait comment est aujourd’hui composé le parlement. Dans la chambre haute, les conservateurs libéraux sont encore en majorité ; mais dans le folkething l’opposition triomphe. Sur cent et quelques membres dont se compose cette assemblée, cinquante voix seulement sont acquises au gouvernement. Sous le nom de « gauche réunie, » les opposans forment un groupe compacte, obéissant à une discipline rigoureuse. Les « amis des paysans, » qui préconisent la politique des intérêts matériels et au besoin la réconciliation avec l’Allemagne, se coudoient avec les grundtvigiens, dévots et patriotes, et qui jadis confondaient Dieu et la patrie dans un même culte. Cette bizarre coalition « de l’esprit et de la matière » a fait échec aux trois ministères libéraux qui se sont succédé depuis cinq ans. De même que le comte de Holstein-Holsteinborg et que M. Tonnesbech, M. Estrup, le premier ministre actuel, gouverne en