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modéré dans ses principes. « La liberté, écrivait-il dans son style imagé, est un mot glissant comme une anguille ; jamais il ne faut y penser ni en parler sans savoir d’abord à quelles forces on la veut accorder et dans quelle mesure, car, tandis que la société civile est fondée sur cette vérité, que la liberté pour toutes les forces nobles et bienfaisantes de se développer et d’agir sans contrainte est une exigence nécessaire de l’humanité, le déchaînement des forces bestiales, sauvages, destructives, est une peste pour les hommes. Aussi les lois ne sont-elles vraiment bonnes que si elles facilitent et protègent la libre expansion des forces salutaires. »

L’homme qui parlait si sagement a pu parfois errer dans la pratique, mais il sut rendre à son pays de véritables services. Il contribua, comme on l’a vu, à faire insérer dans la constitution de 1849 une clause relative à la liberté des cultes, clause salutaire, s’il en est, mais alors en opposition avec les idées reçues dans le Nord. Allant plus loin, il proposa la séparation absolue de l’église et de l’état ; c’est dans cette vue que furent déposés par lui en 1850 un projet de loi établissant le mariage civil, et par ses amis en 1859 une proposition bizarre de séculariser le sacrement de confirmation en en faisant une sorte de prestation de serment civique, à laquelle tous les jeunes Danois seraient tenus à un certain âge. Ces deux propositions, comme on pouvait s’y attendre, furent repoussées ; mais Grundtvig fut plus heureux sur d’autres points. On a déjà dit comment il obtint pour les fidèles la liberté de recevoir les sacremens hors de leur paroisse, et même de créer des paroisses « électives. » S’il ne put arriver à désétablir l’église nationale, il parvint d’une part à la rendre moins intolérante, et de l’autre à autoriser à côté d’elle l’admission des églises dissidentes, — ce qui était un grand progrès. En matière purement civile, il fit insérer dans la constitution de 1849 une promesse de réforme de la procédure en vue de simplifier les exigences surannées de la procédure écrite, en usage de tout temps dans le Nord. Il réclama en outre l’abolition des corps de métier, la liberté illimitée de la presse, la laïcité de l’instruction primaire, la suppression des examens pour l’admission à certaines fonctions publiques, — toutes demandes hâtives qui ne purent trouver grâce devant la majorité, pourtant libérale, de l’assemblée, mais qui montrent clairement comment le pasteur de Vartou marchait droit au but sans se laisser intimider par les craintes de ceux qu’il appelait des faux libéraux. C’est là du reste le plus grave reproche qu’on puisse faire à Grundtvig en politique : il partait d’idées préconçues et de principes a priori, et se souciait trop peu des circonstances dans lesquelles il se trouvait, des susceptibilités qu’il fallait ménager, des préventions qu’il fallait vaincre. Grundtvig était un théoricien, il n’était pas un homme