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pareil chez les grundtvigiens. Leur religion leur montre un Dieu plein de miséricorde qui ne sait rien refuser à celui qui a été régénéré dans le bain du baptême quand il croit aux enseignemens du symbole. Le salut leur paraît chose facile et presque certaine : « Nous sentons que nous sommes toujours sous les yeux de la Providence, nous disait un homme distingué du parti : la grâce de Dieu nous soutient et nous fortifie. » Cette sérénité d’âme, cette tranquillité d’esprit, se traduisent au dehors par l’enjouement et la gaîté. Il est si naturel d’être gai quand on a la conviction de posséder la vie et la lumière, pour parler comme Grundtvig, tandis que les autres sont plongés dans les ténèbres de la mort. Ce caractère du culte grundtvigien, du « gai christianisme, » comme on l’appelle en Danemark, apparaît surtout dans les assemblées dites a réunions d’amis » (vennemöder) que les grundtvigiens tiennent périodiquement dans différentes villes. Instituées d’abord pour célébrer auprès du vieux pasteur de Vartou l’anniversaire de sa naissance, ces réunions ont passé dans les habitudes de ses disciples. Elles durent deux ou trois jours pendant lesquels les « amis » entendent des discours sur tous les sujets politiques et religieux, vivent, prient et chantent en commun : c’est quelque chose, n’en déplaise aux grundtvigiens, qui n’ont guère de tendresse pour notre ultramontanisme, c’est quelque chose comme ces pèlerinages politiques et religieux tout ensemble à la mode depuis quelques années chez nous. Là aussi on prie et on se réjouit, là aussi on voit aller de pair à compagnon la piété et la gaîté, — la « sainte gaîté, » dont un de nos prélats faisait récemment l’éloge. Ce point de contact avec le catholicisme n’est pas le seul que l’on remarque dans la doctrine de Grundtvig. On a vu déjà que les grundtvigiens, comme les catholiques, mettent la tradition au-dessus de l’Écriture, et attribuent au baptême une plus grande force que les luthériens ; mais Grundtvig avait contre la papauté les préventions communes à tous les protestans de toutes les sectes, et si doctrinalement il était quelquefois amené à se rapprocher de la religion romaine, son horreur pour le romanisme l’arrêtait bientôt. Si le catholicisme, au grand étonnement des Danois, fait aujourd’hui des progrès marqués dans le nord Scandinave, ce n’est pas à Grundtvig qu’on le doit.


III

Passionné comme il l’était pour le Danemark, si curieux d’en pénétrer les origines, si ardent à en célébrer les beautés et les grandeurs, Grundtvig ne pouvait se désintéresser des choses de son temps. Dès sa jeunesse, il fut un chaud patriote scandinave : ses études historiques lui montraient l’unité de race des Danois, des