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même, — nous n’oserions garantir l’anecdote, — qu’un jour, à la suite d’un sermon où il avait pleuré sur les maux du pays, le vieillard, grisé par l’émotion, avait prédit à la reine douairière, veuve du roi Charles VIII, une de ses plus ferventes admiratrices, qu’elle était destinée à donner le jour à Ogier le Danois, le héros mythique de la patrie, qui doit renaître, dit la légende, pour sauver le Danemark quand il sera près de périr. Inutile d’ajouter que le prophète fut en défaut cette fois, et qu’Ogier continua son long sommeil dans les souterrains d’Elseneur, où il dort depuis dix siècles en attendant l’heure du suprême danger. Nous n’aurions garde d’insister sur ces défaillances d’un grand esprit qui ne sauraient affaiblir nos sympathies pour l’ensemble du caractère. — En 1872, une nombreuse réunion de disciples devait avoir, lieu, le 15 septembre, à Copenhague, pour célébrer le quatre-vingt-neuvième anniversaire de la naissance de Grundtvig. Le vieil évêque devait officier et prendre la parole… Tout à coup, le 2 septembre, il se sentit faiblir. Il s’éteignit dans la journée sans maladie et presque sans douleur. Ses amis accourus pour le voir et l’entendre ne purent qu’assister à ses funérailles.

Grundtvig emportait dans la tombe la satisfaction d’avoir créé une œuvre durable. Il laissait une famille nombreuse, issue de trois mariages successifs, et dont l’un des membres, Svend Grundtvig, professeur à l’université de Copenhague, est lui-même un poète distingué ; il laissait en outre un troupeau fidèle et nombreux. Son nom est devenu parmi ses disciples l’objet d’un culte respectueux comme ce culte que les cités grecques rendaient au héros éponyme leur fondateur. La mort du maître n’arrêta point l’élan de la propagande, et quoiqu’il ne soit guère possible de préciser le nombre des grundtvigiens, on peut dire qu’ils constituent une fraction importante de la population du Danemark. Il y a quelques mois, dans une assemblée tenue à Odensée, ils furent réunis au nombre de 5,000 : dans un petit pays et pour une secte recrutée surtout parmi les paysans, qui ne peuvent guère quitter leur charrue, ce nombre est assez significatif. La propagande grundtvigienne a même franchi la mer pour se porter en Norvège et en Suède. En Norvège, les efforts ne furent pas stériles : des hommes remarquables, entre autres le poète Bjôrnson, se sont mis à la tête du mouvement ; en Suède au contraire, insuccès complet. Le grundtvigianisme paraît peu convenir au caractère suédois : ce vague, cette poésie un peu nébuleuse, ces rêves idéologiques et politiques, qui plaisaient aux Norvégiens, n’ont jamais pu séduire leurs voisins. A plusieurs reprises, des congrès de théologiens des trois royaumes furent réunis, sur l’initiative de Grundtvig, pour discuter en commun Les principales questions de la nouvelle doctrine.