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baptisé par Jean, il échappe, comme le symbole, à l’Écriture et aux textes pour remonter au Christ lui-même.

L’idée de soustraire ainsi la religion à l’Écriture sainte n’appartient point à Grundtvig. C’est un retour inconscient vers les doctrines catholiques : c’est une répudiation d’un des grands principes de la réformation. Luther avait soumis l’esprit à la lettre : Grundtvig rétablit l’esprit dans ses droits en faisant résider la foi dans la tradition humaine, fondée sur la parole même de Dieu, le verbe divin dont parle l’Évangile de saint Jean, qui a existé dès le commencement des siècles. Pour lui, l’Écriture est morte, stérile, impuissante : seule la parole est vivante et vivifiante, et c’est à elle que le christianisme doit sa naissance et son développement. Nous retrouvons la même pensée et presque les mêmes termes chez les philosophes traditionnalistes. « La parole parlée est une parole vive, a dit Ballanche, la parole écrite est une parole morte. Dieu ne se communique aux hommes que par la parole vive. La parole écrite, qu’elle ait été inventée par l’homme ou par la société, a subi toutes les vicissitudes des choses humaines. Traduction imparfaite de la parole parlée, la parole écrite ne conserve quelque énergie, n’exerce quelque influence sur les hommes, ne traverse les générations successives que comme souvenir de la parole parlée. » On ne saurait mieux définir l’importance que Grundtvig attache aux livres saints dans la religion. Ils ne valent que comme souvenir de la parole de Dieu : à ce titre, ils méritent d’être lus et étudiés, mais seulement si l’on a la foi pour guide, — la foi qui repose sur la parole traditionnelle et non écrite, pieusement gardée dans l’âme des croyans.

Telles sont les idées que l’auteur du Vrai Christianisme commençait vers 1825 à répandre dans le public danois. Un groupe toujours croissant de disciples se recrutait à sa voix, moins parmi les classes éclairées de la société que parmi les âmes tendres et pieuses que le rationalisme effrayait et qui au danger du libre examen préféraient la facile doctrine qui leur était offerte. La persécution vint à point pour donner du relief à la personne de Grundtvig : ses violentes attaques contre Clausen lui valurent une condamnation à l’amende pour diffamation. Cet avertissement ne ralentit point son ardeur : il se démit des fonctions de desservant de la paroisse du Sauveur, qu’il exerçait depuis 1821, et, retrouvant ainsi une plus grande liberté d’action, il reprit avec plus d’acharnement que jamais la lutte contre les rationalistes. D’un camp à l’autre, on se lançait des articles de journaux et des brochures, on se bombardait avec de lourds traités.

En même temps une tentative était faite pour créer à Copenhague une église spécialement affectée à la nouvelle secte. Grundtvig, qui, comme aujourd’hui M. Döllinger, n’aimait guère à se mettre à la tête