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soins de propreté et d’élégance, élever leur existence champêtre au-dessus de celle des cultivateurs. Attachés fortement aux vieilles mœurs, aux usages traditionnel, ils mènent une vie rustique, mais sans grossièreté, simple, mais sans rudesse. Rien n’était plus propre à poétiser dans un esprit jeune, et impressionnable et les paysans et la campagne. Plus tard, comme collégien, comme étudiant, et au milieu des soucis et des labeurs d’une carrière si remplie, il se reporte avec joie vers le temps de sa première jeunesse : une auréole poétique entoure ses souvenirs chéris ; il s’éprend d’amour pour les vigoureux laboureurs danois qui, pendant le court été du nord, arrachent à la terre ses riches moissons ; il aime les champs qu’ils cultivent, le sol qu’ils roulent aux pieds, la chaumière qu’ils habitent, l’église où ils vont prier le dimanche. De là cette passion du peuple qui fut toujours régnante dans l’âme de Grundtvig, ou, pour parler son langage, le goût du « populaire » (folkelig), c’est-à-dire de tout ce qui est caractéristique du peuple, de tout ce qui le touche et l’intéresse ; en religion comme en politique, en histoire comme en poésie, c’est toujours le peuple qu’il a en vue, c’est pour lui qu’il pense, qu’il parle et qu’il écrit. — Nous verrons que ce sentiment, auquel il est redevable des traits les plus saillans de ses doctrines et même de son style, le rendait parfois injuste dans ses jugemens sur les classes les plus éclairées de la population danoise, et particulièrement sur la bourgeoisie.

Par une pente naturelle de son esprit, Grundtvig fut amené à rechercher ce qu’était avant lui ce peuple danois à qui il consacrait toute l’activité de son intelligence. Dès sa jeunesse, il était curieux du passé ; il aimait à promener sa pensée parmi les événemens d’autrefois ; il se sentait solidaire des aïeux qui fécondèrent de leurs sueurs le sol national, qui le conquirent les armes à la main, et qui le défendirent vaillamment contre les ennemis du dehors. Il s’identifiait aux souffrances des premiers Scandinaves, qui avaient à lutter contre les rigueurs du climat, aux triomphes et aux défaites des héros northmands, aux misères des paysans du moyen âge réduits au servage par la noblesse, à la vie, enfin de tous les hommes que le sol danois a nourris depuis dix siècles. Il aimait son pays dans le passé comme dans le présent. Tel est d’ailleurs le caractère que le patriotisme tend à revêtir de nos jours : ce n’est point, comme on l’a dit, un vulgaire égoïsme de nation à nation, — l’égoïsme ne peut qu’abaisser les âmes, tandis que le patriotisme les élève et les grandit, — c’est un noble et profond sentiment de la solidarité que la communauté d’histoire et de traditions nationales fait naître entre les hommes. Nul plus que Grundtvig n’a senti la force de ce patriotisme historique qui, excitant les rivalités entre les peuples au moment où des utopistes chimériques rêvent de