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théologien, était un patriote. Tout en rêvant de créer une doctrine sur laquelle toutes les confessions chrétiennes se puissent rencontrer, il reste toujours Danois. Par suite, le grundtvigianisme est devenu, en même temps qu’une secte religieuse, un parti politique. Il a des représentans au parlement de Copenhague, et par sa grande influence sur les électeurs, à la campagne surtout, il est aujourd’hui une puissance avec laquelle le gouvernement doit compter. Quant à Grundtvig lui-même, élevé jusqu’aux nues par ses amis, qui voient en lui un prophète, et quelquefois raillé par ses ennemis, qui prétendent que ses prophéties ne s’accomplissent pas, il est respecté de tous comme homme et comme patriote, admiré de tous comme écrivain. À la fois théologien et poète, historien et homme politique, il a exercé sur son pays une si multiple influence que son nom se retrouve partout en Danemark. À l’église, même parmi ses adversaires, on chante les cantiques qu’il a composés ; au parlement, son nom est le mot de ralliement d’un parti ; dans les campagnes, de nombreuses écoles élevées par ses amis répandent ses doctrines parmi les paysans. Un homme dont l’activité intellectuelle s’est ainsi manifestée dans tous les sens, un homme qui remplit son pays de sa renommée et de ses ouvrages, peut être vivement attaqué par quelques-uns ; mais ce n’est point un homme ordinaire, on en peut être certain, et, comme tel, il mérite que l’on prenne la peine de l’étudier.


I

Grundtvig naquit en 1783, non loin de Vordingborg, en Sélande, dans la paroisse rurale d’Udby, où son père était pasteur. C’est là que s’écoulèrent paisiblement ses premières années jusqu’au jour où, pour l’achèvement de ses études, il fut envoyé au collège d’Aarhuns, dont il suivait les cours, logé dans une famille de la ville. En 1800, il se fit admettre à l’université de Copenhague comme étudiant en théologie, dans l’intention de succéder à son père.

On dit souvent que la vie d’un homme est le meilleur commentaire de ses ouvrages et la plus sure explication de ses doctrines. Il n’est personne pour qui cette observation soit plus fondée que pour Grundtvig. Bien que les années de son enfance n’eussent et marquées par aucun événement, elles laissèrent dans son esprit une empreinte qui ne s’effaça jamais. Le spectacle de la vie simple et pure de ses parens frappa vivement sa jeune imagination : il sentit mieux que nul autre la douceur et le charme de cette vie de famille que les peuples du nord connaissent si bien. Il y a d’ailleurs cela de particulier chez les pasteurs de village que, tout en vivant à peu près à la manière des paysans, ils savent, par certains