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chance d’apparaître à l’Europe comme le cadre le plus propre pour cette bigarrure de races, de religions et d’institutions qui s’étend des Portes de Fer jusqu’à la Corne-d’or. Un empire de l’est aux traditions et aux influences germaniques sur le Bosphore, plus au sud Un royaume de Grèce agrandi de la Thessalie et de l’Épire, enfin au nord une Allemagne complétée dans son unité par les provinces cisleithanes, — il y aura là de quoi contenter bien du monde, sans en excepter l’Angleterre. C’est, on l’avouera, une solution comme une autre de la redoutable question ottomane, et toute hypothèse, toute fantaisie a le droit de se produire dès que l’on touche à ce monde fantastique de l’Orient, et à ce monde non moins mystérieux et terrible que porte dans sa tête le grand solitaire de Varzin…

Ce qui, dans tous les cas, n’est point du domaine de l’hypothèse et de la fantaisie, ce qui malheureusement n’est qu’une réalité trop évidente et palpable, c’est qu’à la place de cette « combinaison purement et exclusivement défensive, » comme le prince Gortchakof avait un jour si justement appelé l’ancien Bund, — à la place d’une ligue d’états pacifiques, tous amis obligés de la Russie et lui formant comme une suite continue de remparts, — l’empire d’Alexandre II voit maintenant en face de lui, pesamment couchée tout le long de sa frontière, une puissance formidable, la puissance la plus forte du continent, ambitieuse, avide, entreprenante et ayant désormais la mission inéluctable de défendre contre lui ce qu’on est convenu d’appeler les intérêts de l’Occident. Il n’est pas jusqu’à la question polonaise que cette puissance ne pourrait soulever, le cas échéant, au gré de ses besoins, et tout autrement que ne l’avaient fait les cabinets de Paris et de Londres : la thèse d’un tel « coup au cœur » n’a-t-elle pas été très chaleureusement soutenue en 1871 par certains hommes d’état hongrois fort avant dans les confidences du ministre prussien ? La conduite du gouvernement de Berlin lors de la dernière insurrection de Varsovie ne préjudicie en rien l’avenir : les discours passionnés de M. de Bismarck en 1849 contre la révolte des Magyars ne l’ont point empêché d’armer bien des années plus tard les légions du général Klapka. On ne niera pas du moins les visées prussiennes en 1863 sur la rive gauche de la Vistule, « la frontière naturelle ; » à l’heure qu’il est encore, les amis de Berlin n’insinuent-ils pas par momens que ce serait là peut-être le moyen le plus efficace d’en finir avec l’esprit du polonisme ? On ne parle pas des provinces de la Baltique, comme avant Sadowa on répudiait toute pensée de vouloir jamais franchir le Mein ; mais l’effervescence tudesque de la Courlande et de la Livonie va en croissant, et à quels douloureux sacrifices le Hohenzollern ne sait-il pas se résigner alors qu’il croit entendre la voix d’en haut, la voix