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les soins de l’administration provinciale, aidaient aux besoins du commerce, et les torrens, aux versans des vallées, alimentaient de leurs eaux courantes une foule de forges et de moulins.

Tel est le milieu pittoresque et charmant où nous transporte Trueba. L’action en elle-même est des plus simples, sans grandes intrigues ni péripéties : quelque naïve histoire d’amour, quelque modeste scène d’intérieur, comme il peut s’en dérouler au fond d’un petit village ignoré ; mais l’auteur aime à suivre ses personnages dans tous les détails de leur vie, cette vie d’honnêtes labeurs et de joies paisibles qu’il eût voulu partager avec eux. De grand matin, il va faire un tour à l’étable, considère la mule et les bœufs, flatte en passant le chien de la maison ; il est au courant des labours, traite en connaisseur la question des semailles ou escompte sur place les espérances de la moisson prochaine ; en rentrant, il jettera un coup d’œil sur le souper que prépare la ménagère, saluera d’un bonsoir les jeunes filles allant à la fontaine, ou fera causer les enfans qui reviennent de faire paître le bétail. Tous ces petits tableaux champêtres sont frappans de vie et de vérité.

A un autre point de vue, il n’est pas sans intérêt, on le comprend, de pénétrer à la suite d’un pareil guide chez ces populations si curieuses qui seraient, au dire des linguistes et des historiens, la plus ancienne et la plus noble race de l’Europe. Certes les Basques sont bien déchus de leur grandeur passée, du temps peu lointain encore où les glorieux consuls de Bilbao étendaient leur juridiction sur tout le littoral cantabrique, desde Bayona a Bayona, de Bayonne en France jusqu’à Bayona en Galice ; de jour en jour plus resserrés, moins nombreux, incessamment battus du flot des révolutions politiques et sociales comme les rochers de leurs rivages par les vagues de la mer en furie, ils sont destinés à disparaître bientôt, et un sagace écrivain parlant ici même de leur décadence a pu les appeler un peuple qui s’en va[1]. Du moins auront-ils conservé jusqu’au dernier moment, avec cette langue étrange qui ne se rattache à aucun idiome connu, un caractère et une physionomie bien tranchés.

Tout d’abord ce qui les distingue, c’est l’ardeur de leur foi, une foi naïve, inébranlable, n’admettant ni discussion ni tempérament. Il semble que sur ces hauteurs l’homme se sente plus près de Dieu et soit invinciblement porté à élever vers lui sa pensée. N’est-ce pas un chant basque qui dit : « Celui qui ne connaît pas la prière, qu’il aille par ces montagnes, et il verra qu’il apprendra promptement à prier sans que personne le lui enseigne ? » Le paysan

  1. Voyez dans la Revue du 15 mars 1867 l’étude de M. Elisée Reclus : les Basques, un peuple qui s’en va.