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rivales : il arrive à Buffalo, cette métropole des lacs, plus directement que le New-York Central, sur une distance qui est de 19 milles moins longue (422 au lieu de 441), et alors que les chemins de fer Pennsylvania et Baltimore-Ohio ont pour points de départ Philadelphie ou Baltimore, l’Erié a véritablement pour tête de ligne New-York, qui l’emporte si étonnamment sur les deux premières de ces villes. Pourquoi l’Erié n’a-t-il pas écrasé ses rivaux ? pourquoi ne marche-t-il pas aujourd’hui à la tête de toutes les voies ferrées américaines ? pourquoi la législature de l’état de New-York lui a-t-elle disputé comme fictif, il y a dix-huit mois, le maigre dividende de 1 et 3/4 pour 100 que l’Erié allait distribuer à ses actionnaires ? La réponse est dans les faits qui suivent, que chacun connaît et cite à tout propos dans le monde des affaires de New-York.

Les actions de l’Erié, qui, il y a onze ans et demi, en avril 1864, se cotaient à 126 dollars (le pair étant de 100) et recevaient un dividende de 8 pour 100, sont tombées, durant le mois de juin 1874, à 27, ont oscillé un moment, trois mois après, autour de 32, et se sont arrêtées depuis à 17, cours minimum qu’elles affichent encore (novembre 1875) ; c’est la cote la plus basse que l’Erié ait jamais enregistrée, même aux jours les plus malheureux. Pendant cinq ans (1867-1872), une bande d’agioteurs effrénés s’empara de la direction de ce chemin, et y apporta la corruption qui règne depuis longues années dans la plupart des administrations publiques aux États-Unis. Le président et les directeurs de l’Erié agissaient à la façon de ces hommes sans foi, de ces politiciens éhontés qui ne s’attachent à un parti, qui ne cherchent à faire réussir une élection que pour mettre ensuite les places et le trésor au pillage. On est allé jusqu’à faire alliance avec ces tristes gens, et l’on a composé un moment, en s’unissant à eux, l’association la plus redoutable, la plus dangereuse que l’état et la ville de New-York aient jamais vue. Cette coterie, ce ring est resté célèbre. Pendant que les uns, avec le trop fameux Tweed, aujourd’hui en prison et qui traînait à sa suite tout le clan des Irlandais et la lie du parti démocrate, pillaient la caisse municipale et volaient plus de 100 millions de francs, les autres volaient de beaucoup plus la caisse de l’Erié. En 1868, en quatre mois, de juillet à octobre, le capital d’actions de ce chemin était porté de 34 millions de dollars à 58. Aux États-Unis, on appelle d’un mot plaisant cette manœuvre frauduleuse qui consiste à battre monnaie avec un apport fictif ; on dit qu’on « arrose » les actions. Sur cette pente fatale, on ne s’est plus arrêté. En 1871, on dépassait 86 millions de dollars sans.que l’actif de l’Erié ait été le moins du monde réellement augmenté. En 1869, le conseil des directeurs de ce chemin, se sentant coupable, refusait de faire enregistrer les actions de la compagnie, sur quoi